L'été est arrivé ! Il fait lumineux à défaut de faire beau, il ne fait pas trop chaud mais ça reste agréable. Donc histoire d'être dans le thème, je vais parler d'un film qui est une uchronie dystopique où corruption et totalitarisme règnent, ce qui est parfait pour aller à la plage. Sur ce bonjour, nous allons aborder Jin-Roh.
Date de sortie : 17 Novembre 1999
Réalisateur : Hiroyuki Okiura
Scénariste : Mamoru Oshii
Nationalité : Japonais
Studio : Production IG
TW : Mort, Militarisme.
Synopsis : Le film prend place dans un Japon uchronique d'après-guerre remué par divers troubles sociaux et où les révoltes sont nombreuses. Celles-ci voient un affrontement entre une organisation d'opposants, la secte et le pouvoir qui a mis en place une police assez militarisée : la POSEM. Cet organisme de répression massif a en plus des divisions Panzer : des forces d'élites en armures et surarmées. Lors d'une énième révolte, un membre d'une unité Panzer, Fusé, se retrouve incapable de tirer sur une rebelle qui fait exploser la bombe qu'elle transporte. Traumatisé, Fusé rencontre sa sœur aînée devant sa tombe.
Avant de commencer de parler du film, je pense qu'il est utile de parler d'un fait intéressant quant à la vie du scénariste Mamoru Oshii. Durant les années 70 il a fait partie d'un mouvement étudiant principalement opposé au traité de sécurité Américano-japonais. Sans vous faire le cours simplifié sur le syndicalisme étudiant japonais de 1950 à 1980 car il y a une dizaine de page en version compressée, je vais contextualiser rapidement. Pour faire les choses très simples : vers la fin des années 50 et durant les années 60 le Zengakuren (fondé en 1948 et noyauté par les communistes à ses débuts) est le gros mouvement étudiant. En 1958, c'est lui qui monte en 1ère ligne contre une loi sur la police signifiant un retour en arrière démocratique évident. Dès les années 60 celui-ci est divisé par divers courants, par exemple les communistes pro-soviétiques sont de plus en plus rejetés. Donc les mouvements étudiants sont puissants mais sont dans un terrain propice à la discorde. Dès les années 70 ces mouvements se tassent et certains tombent dans l'extrémisme. Par exemple l'attentat de Tel-Aviv en 1972 est organisé par l'Armée rouge japonaise. Il est intéressant de noter qu'il s'agit de la période où Oshii a été étudiant.
Donc, comme vous vous en doutez, le film a une portée politique non négligeable. On va commencer par la secte car c'est le plus court. Elle me semble être une référence aux dérives des mouvements étudiants de par leur violence, on les voit armés et faire usage de bombe au napalm (à un moment des membres de la Zengakuren étaient équipés de casque et pique en bambous pendant des manifestations. D'ailleurs ils répondaient aux sifflets). Elle est assez peu abordée dans le film mais a un traitement semblable à la police : c'est un organisme qui broie les individus pour les faire correspondre à leurs besoins. Pour la POSEM c'est bien plus évident. Après tout Fusé reçoit des sanctions disciplinaires pour ne pas avoir tiré sur la gosse et il est renvoyé en formation, comme un outil défectueux envoyé en reconditionnement. Ces gradés sont en permanence dans leur jeu de pouvoir, certains veulent dissoudre la division Panzer pour apaiser les tensions comme la police « normale » voulant surtout retrouver une partie de son autorité. D'autres refusent catégoriquement de perdre ce formidable outil de répression et de dissuasion, un fort cynisme se dégage d'eux. D'ailleurs, une chose ressort beaucoup du film : la froideur des relations humaines. On le ressent esthétiquement, de par ses tons ternes, son graphisme hyper réaliste, ses intérieurs oppressants et son éclairage froid. C'est ainsi que nous comprenons que cet univers est composé de divers éléments broyant les gens. C'est aussi là qu'intervient le fil directeur de l'histoire qui est le petit chaperon rouge, un nom donné au coursier de la secte (dont la gamine faisait partie). L'homme est un loup pour l'homme et les Panzers sont ces bêtes féroces. Lorsqu'ils enfilent leur lourd attirail toute humanité semble être oubliée, ce ne sont plus que des tanks sur pattes décidés à massacrer l'ennemi comme le prouvent les rares mais violentes scènes d'action du film. Fusé semble, à divers moment, sortir de sa peau de bête lorsqu'il est avec Nanami Agawa, la sœur de la jeune femme morte. Mais de par son implication dans le système, sa fonction de loup, il se fait inexorablement écraser par la machine.
Tout ceci est fort pessimiste, il est vrai, mais pour vous égayer(?) le film a d'autres aspects. Comme je l'ai dit précédemment l’œuvre fait souvent référence au petit chaperon rouge et d'une certaine manière, la relation Fusé/Nanami en est une relecture et c'est ici où on sent la patte de Okiura. D'abord Fusé est très clairement le loup ici : il est solitaire et peu loquace, on le voit capable de tendresse mais ce qu'on retient surtout c'est cette scène marquante vers la fin du film où il met son armure Panzer. Sans elle c'est une personne à peu près normale mais dès qu'il l'enfile une transformation s'opère. Ayant une démarche normalement décontractée, avec sont barda il se déplace comme une machine, un robot tueur sans visage. D'ailleurs durant la scène d'action finale on ne le voit pas courir alors que ses adversaires détalent comme des lapins ce qui, dans les faits, le rend encore plus inhumain et effrayant comme Jason de Vendredi 13. Nanami, elle, a un rôle plus flou tant et si bien que par moments les positions du loup et du chaperon rouge semblent s'inverser. Au premier abord elle semble être un simple love interest mais leur relation parait étrange, comme deux personnes ne sachant pas interagir normalement. Le film est très lent et contemplatif, on a donc le temps de voir les jeux de regards. Durant leurs échanges « normaux » on a l’impression que Nanami parle toute seul, interpellant Fusé de temps en temps. Ce dernier semble absent, comme si il n'avait pas d'autre choix que d'être là, ce qui en rajoute encore plus à l’artificialité de leur relation. Et oui, même là nous avons à faire à quelque chose d'assez désincarné. Malgré les moments de poésie et de contemplation pure qu'amène le film très peu d'humanité y est présente, même dans les moments où on peut le qualifier de tendre. Au final, nos deux protagonistes ne sont que des marionnettes dont le rôle est de rejouer le petit chaperon rouge pour servir ce petit jeu de pouvoir dans l'intérêt de certaines personnes.
Je viens de vous présenter certains aspects que je trouvais intéressants dans Jin-roh. Après avoir fait des recherches sur internet j'ai vu plusieurs personnes ressentir le film différemment mais ici j'ai tenu à m'attarder sur le côté du film qui montre des machines étatiques écrasant sous tout leur poids les individus et des organismes satellites ou en opposition qui répètent le même schéma. Le Jin-roh que j'ai vu est un film beau et fataliste. Donc si vous n'êtes pas rebuté.e par les films contemplatifs qui prennent leur temps, je vous encourage à aller voir ce film assez vite.
Sur ce, je vous souhaite de bonnes vacances et cultivez-vous !
Sharksymphonie
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