[DTFIS] Cultivez-vous ?

Depuis l’ouverture du site, tous nos articles terminent par cette injonction et force est de constater que nous n’avons jamais vraiment pris le temps de l’expliquer. Du coup puisque Nathan a pris la peine la semaine dernière de nous expliquer que le principe de culture est bien plus complexe que ce qu’il n’y paraît, profitons-en pour clarifier notre ligne directrice et approfondir encore plus ce concept de « culture ».

Tout d’abord, comme évoqué juste avant, notre slogan est une injonction. Nous pouvons le voir grâce à l’impératif et cela tend à montrer que la culture est quelque chose que nous considérons comme important. Mais, d’un autre côté, n’est-ce pas absolument logique étant donné l’omniprésence du discours valorisant la culture dans notre éducation ? J’entends ici par éducation principalement le système scolaire qui ne manque jamais une occasion de souligner notre manque de connaissances. Cependant à La Colonie du Web nous avons une conception différente de la culture par rapport à celle qui nous est habituellement présentée. Il nous faut donc reprendre les origines du terme et du concept afin d’expliquer ce qu’il est devenu et comment nous nous en sommes éloigné.es.

Le terme « Culture » provient du latin « Cultura » qui est lui-même le nom formé à partir du verbe « Colo » qui signifie « S’occuper de, prendre soin, entretenir » (d’où les termes « Colon » et « Colonie », comme quoi tout est lié !). De cette signification ont découlé les sens que l’on donne habituellement aujourd’hui au terme « Cultiver », à savoir « S’occuper de son champ », « S’intéresser à » et « Vénérer ». Or la vénération est un acte lié au sacré, le terme étant issu du nom de la déesse « Vénus ». La culture est donc un élément étymologiquement liée au sacré, elle serait inattaquable et immuable. C’est ce que l’on appellera ici « La culture légitime », celle-ci étant caractérisée comme étant une infime partie des beaux-arts (musique, cinéma, littérature etc.). Je dis bien une infime partie car il est admis qu’une grande majorité de la musique dite « populaire » par exemple n’est absolument pas culturelle. Combien de personnes iraient dire à une autre qui connaîtrait tous les textes de Maître Gims par cœur que celle-ci est cultivée ? Fort peu, je pense que vous en conviendrez aisément ! En effet pour être considéré comme un élément culturel, il faut être validé en tant que tel par des éminences sur lesquelles il est difficile d’influer. En France, ce processus de légitimisation passe par 3 entités appelées les 3M : Ministère (de la culture), Médias et Marché car n’oublions pas que l’Art est également une industrie et que les œuvres ont pour but de se vendre. Je vous renvoie pour approfondir ces dernières notions à cette conférence : (ne soyez pas impressionné.es par la durée, c’est vraiment très agréable à écouter)

Un autre problème non abordé dans le paragraphe précédent est celui de la culture en dehors des beaux arts : doit-on les intégrer aux beaux-arts ou les considérer comme culture malgré leur non-appartenance à ce groupe très fermé ? C’est là tout l’enjeu des débats autour de la qualification du jeu vidéo ou du manga comme art à part entière. Nous, à la Colonie du Web, nous avons choisi : ce sont des éléments de culture et qu’importe si ce sont des beaux-arts ou non, ce qualificatif n’influant en rien, d’après nous, sur l’estime que nous devons porter à son sujet. Nous pouvons même argumenter que de faire accéder ces pratiques aux beaux arts ne servirait qu'à exclure encore plus les autres pratiques. À ce titre nous nous plaçons sans l’exprimer clairement dans une démarche de rejet du principe même de culture légitime. Parler pendant 2 ans indifféremment de BD, de cinéma, de jeux vidéo, de mangas ou de sociologie est par nature un acte de déconstruction de la pensée considérant la culture comme un corpus monolithique et immuable. Ainsi nous préférons parler non pas de culture mais de cultures et la nuance est très importante. En effet en acceptant que les cultures soient plurielles, nous nous débarrassons de fait de la construction d’une culture légitime. Nous revendiquons que chaque culture est légitime car chaque culture participe à une compréhension plus large de notre monde.

Donnons un exemple afin d’expliciter notre propos : imaginons que la pêche au thon soit l’une de vos passions. D’après notre raisonnement la pêche au thon est un élément culturel aussi légitime que d’aller voir une exposition de Van Gogh car cette passion vous permet de comprendre, entre autre, la différence entre les écosystèmes en eau douce et en eau salée, l’influence de la température sur ces derniers, les conséquences d’une pêche intensive etc. Au travers d’une activité considérée comme aussi futile que la pêche vous emmagasinez des connaissances sur le fonctionnement de notre monde et de la société.

Un cerf allant réfléchir sur l'anticapitalisme

Un cerf allant réfléchir sur l'anticapitalisme

Or si, comme nous le défendons, toute culture est légitime, utile et bonne pour la communauté, alors il est tout aussi important de la partager et c’est ce que nous nous efforçons de faire. En représentant un infime pan des cultures possibles, nous avons souhaité réaffirmer une légitimité à des pratiques souvent éloignées de la considération de « La Culture ». En vous invitant à vous cultiver après chacun de nos propos, nous vous invitons à considérer vos connaissances et vos passions non pas comme une culture alternative obscure ou pire comme des stupidités mais bien comme une culture faisant partie de l’ensemble des cultures. Ni plus importante, ni moins importante. C’est finalement une invitation à la réflexion et au partage que nous faisons. Nous le répétons depuis deux ans mais si vous vous sentez d’écrire pour nous et que vous voulez participer à cette vision des choses, nous vous lirons avec plaisir.

À ce stade, il reste une interrogation que j’aimerais balayer, à savoir les motivations de cette définition des cultures et de cette invitation au partage. Pourquoi cela nous apparaît comme assez important, voir essentiel au point de continuer à écrire ? Comme on l’a dit plus tôt, une oeuvre de culture légitime doit être légitimée or force est de constater que de nos jours, être légitimé nécessite d’être consensuel. Lorsque l’on s’intéresse, ne serait-ce qu’un peu, à l’art contemporain tel qu’il existe depuis la fin du XXe siècle, force est de constater que la critique politique et sociologique est relativement absente. Aucune œuvre aujourd’hui arborée dans un musée n’a la puissance d’un « Guernica » de Picasso, d’un « Mariage du Figaro » de Mozart ou d’un « Fontaine » de Duchamps. La critique dans l’art n’existe plus, pour trouver des œuvres subversives, il nous faut nous tourner vers les cultures non légitimes. Ce n’est pas un hasard si de nombreux rappeurs ont été attaqués en justice pour diffamation envers l’État lorsqu’ils dénoncent les violences policières alors que les seuls « artistes contemporains » à être inquiétés le sont pour des œuvres obscènes (précisons ici que je ne critique pas la présence de sexe dans une œuvre, je critique en revanche l’utilisation du sexe comme source de scandale et non de réflexion).

Comment choquer sans rien critiquer par Paul McCarthy

Comment choquer sans rien critiquer par Paul McCarthy

Affirmer l’importance des cultures plutôt que de « La Culture » permet de légitimer la critique et la satyre présentes dans les œuvres considérées comme moins sérieuses ou moins importante pour notre réflexion que les œuvres de culture légitime. Plus simplement, promulguer les cultures c’est en avoir marre de se faire avoir, c’est permettre à tout le monde de mieux comprendre la société et de mieux réfléchir à une situation meilleure sans les prendre de haut avec des œuvres détachées de leur quotidien. Franck Lepage, auteur de la conférence présentée plus haut, dit « La culture c’est un moyen individuel de résister à une oppression collective ».

Ainsi, vous savez maintenant pourquoi nous terminons nos articles ainsi et pourquoi c’est important pour nous. Donc plus que jamais, cultivez-vous.

 Duno

Duno

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *