[Even Indier] Every day the same dream

Avant toute chose, sachez que les jeux évoqués dans cet article vont parler de sujet comme la pédophilie, la souffrance au boulot, le suicide, la dépression, le sexe et la guerre. Si ces sujets vous font vous sentir mal, je vous déconseille de poursuivre la lecture. Promis j’essaierai de faire un peu plus léger le mois prochain !

Mais aujourd’hui l’heure est aux jeux violemment engagés. Ce genre de jeux qui, sans chercher l’hyper réalisme, ne s’interdit pas de choquer et de montrer des situations extrêmement violentes. Aujourd’hui nous faisons une plongée dans le travail du studio italien MolleIndustria. Ce studio se définit lui-même comme produisant un « remède homéopathique à l’idiotie du divertissement grand public sous la forme de jeux en ligne, courts et gratuits. » Selon-eux toujours, ils créent des œuvres allant « de la gestion d’entreprise satirique aux méditations sur le travail et l’aliénation, des théories jouables à des pseudos-jeux politiquement incorrects. » Nous sommes donc manifestement face à un studio qui a de grandes ambitions et un certain mépris pour la culture dominante. Reste à savoir si tout ceci ne repose que sur du vent ou si les jeux produits valent réellement le détour.

Vérifions cela !

Si le nom de ce studio ne vous est pas inconnu, cela peut être dû au ramdam fait autour du jeu « Operation : Pedopriest » sorti en 2007. Ce jeu est une réaction au documentaire « Sex, Crimes and Vatican » dans lequel Colm O'Gorman raconte comment il a été violé par des prêtres irlandais à 14 ans. Ainsi Operation : Pedopriest nous met dans la peau d’un évêque qui devra intimider victimes et témoins de pédophilie afin que ses prêtres ne soient pas arrêtés par la police. S’il est évident que ce principe de jeu est éminemment critiquable et que l’expérience est dérangeante au possible, le jeu a complètement été interdit en Italie et a donc été naturellement retiré du site des développeurs. Voici en bonus une interview des développeurs suite à cette interdiction.

Cependant je ne souhaitais pas parler de ce jeu car finalement il est bien plus transgressif que subversif. En effet s’il est extrêmement dérangeant d’observer des viols pédophiles dans un jeu et que cela transgresse les règles de représentations du jeu vidéo, force est de constater que le message est assez consensuel : « Violer des enfants c’est pas bien et protéger les violeurs c’est pas très gentil non plus ». Oui j’exagère mais vous comprenez l’idée. Ce n’est pas le seul jeu du studio à tomber dans ce travers d’après moi. On peut citer comme autre exemple « Orgasm Simulator » et « Run Jesus Run » dont la portée politique m’échappe quelque peu…

Mais cantonner le travail du studio à ces quelques œuvres serait réducteur et il convient maintenant de contrebalancer le paragraphe précédent, MolleIndustria a bel et bien une vision extrêmement politique et politisé des choses avec des jeux aux messages forts. Leur thème de prédilection est finalement aussi vaste qu’évident : le capitalisme. En s’attaquant à l’écologie, à la guerre au Moyen Orient, à la production de Smartphone ou à l’emploi, c’est bel et bien le capitalisme tel que prôné par les Etats-Unis depuis la révolution néolibérale des années 70 qui est directement attaqué. C’est par ailleurs un jeu parlant justement de l’emploi que je souhaitais vous présenter aujourd’hui, le contexte s’y prêtant plutôt bien.

Les anarcho-staliniens <3

Les anarcho-staliniens <3

« Every day the same dream » est donc un jeu sorti en 2009 et que vous pouvez tester gratuitement ici. On y incarne un homme tout ce qu’il y a de plus générique, l’aspect générique étant renforcé par l’absence de visage.  Celui-ci possède une vie lambda dans laquelle tous les matins il se lève, se prépare, regarde, la télé, subit sa voisine dans l’ascenseur, subit les embouteillages, subit son patron jamais satisfait puis subit son emploi avant de rentrer pour mieux recommencer le lendemain. Déjà-là nous aurions un titre intéressant qui tranche avec toutes les règles d’évolution propres au jeu vidéo. En effet, même s’il est courant d’avoir des gameplays répétitifs, comme dans les jeux d’arcade par exemple, l’augmentation progressive de la difficulté et des possibilités de jeu viennent contrebalancer cet ennui. Ici ce n’est pas le cas, le challenge est très faible car il consiste juste à déplacer son personnage et  à appuyer sur Espace pour interagir soulignant le caractère automatique des tâches qu’il effectue. De plus la direction artistique en noir et blanc avec des personnages caricaturaux au possible achève de nous faire comprendre le caractère absurde et morne de l’emploi.

Mais le jeu possède une idée qui le démarque des autres œuvres qui traitent du sujet et qui, pour la plupart, se limitent à montrer ce quotidien ou à mettre en scène un héros qui arrive à s’en sortir : on peut mourir dans ce jeu. Plus précisément, il est possible d’accéder à un écran qui nous mène en haut d’un immeuble d’où l’on peut se jeter. Or, là où nous nous attendrions à un Game Over, un texte ou n’importe quelle information soulignant notre acte, le jeu nous fait recommencer notre journée comme si de rien n’était. Rien n’arrivera à nous libérer de cette routine, pas même notre mort.

Ambiance !

Ambiance !

Il est là le message qui finalement parcourt toutes les œuvres de ce studio, c’est pour cela que leurs jeux nous touchent et nous font autant d’effet : il n’y a jamais de solutions. Nous sommes bloqué·es dans un système qui nous broie et dont on ne peut s’échapper même une fois 6 pieds sous terre. Vous pouvez faire ce jeu 5, 10, 20, 1000 fois, vous serez toujours face à la même penderie avec les mêmes fringues, la même femme, la même bagnole, le même emploi, la même mort. Il est possible de discuter des heures durant sur la pertinence de transmettre ce message mais force est de constater que pour un jeu dont la durée de vie avoisine la minute, l’impact émotionnel est d’une rare puissance.

Et je souhaitais en parler car, comme mentionné plus tôt, cela me paraît être une bonne période pour en remettre une couche. À l’heure où les burn-outs, dépressions et suicides dû à l’emploi se multiplient mais que les grandes instances poussent vers de moins bonnes conditions de travail, il est essentiel de réfléchir à notre condition. Souhaitons-nous nous réveiller chaque matin avec la déception de savoir déjà exactement ce qui va nous arriver ou est-ce qu’on souhaite bouger un peu tout ça ? Est-ce qu’on vivra tous les jours le même rêve ou peut-on encore se réveiller et mettre un terme à ce système ? À défaut d’apporter une réponse positive, MolleIndustria a au moins le mérite de nous faire nous poser ces questions et c’est déjà pas mal.

Cultivez-vous.

Duno

Duno

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