Bonjour à toustes !
Si vous êtes sur les réseaux sociaux, vous avez peut-être pu remarquer la polémique internationale sur le film sorti ce 19 août : Mignonnes.
L’origine de cette polémique vient de l’affiche que Netflix a publié sur son site, représentant les quatre personnages principaux, des enfants, dans des vêtements courts et prenant des poses suggestives. Une démarche marketing effectivement révoltante, surtout que l’affiche originale est aux antipodes de celle-ci. Mais comme on le sait, il est difficile de se défaire de sa première intuition. De nombreuses personnes, alertées par l’affiche, ont ensuite consulté la bande-annonce et constaté qu’effectivement, certains passages montraient les enfants prendre des poses suggestives, qui, pour citer un tweet anglophone lu et oublié depuis 3 jours, « ne seraient justifiées dans aucun contexte ».
Mais le contexte, justement, peu ont l’air de le connaître. Alors quel est-il ? Car s'il y a effectivement des groupes d’appels au boycott, au retrait du film des salles de cinéma tout comme de Netflix, personne parmi ces groupes ne semble avoir vu ce film.
Aujourd’hui, dans un élan de solidarité, j’ai vu Mignonnes.
(Et oui, ça va spoiler/divulgacher)
À droite vous avez l’image originelle, à gauche la daube proposée par Netflix.
Réalisatrice : Maïmouna Doucouré
Casting : Fatha Youssouf, Medina El Aidi, Esther Gohourou, Ilanah Cami-Goursolas, Myriam Hamma
Synopsis : Mignonnes suit le personnage d’Aminata, dite « Amy », une enfant de onze ans qui, dans l’attente d’un bouleversement familial important, a récemment dû déménager et changer de collège. Dans ce dernier, un groupe de quatre filles, les Mignonnes, la fascinent par leur popularité et leur projet de gagner un concours de danse. Dans son désir de s’intégrer, elle se confronte aux attentes et à la satisfaction des réactions sur les réseaux sociaux,mais aussi aux contenus toujours plus sexualisés de certains milieux de la danse, qu’elle utilise à son avantage pour se valoriser et entrer dans le groupe. S’ensuit alors une escalade progressive, dans un monde où afficher sa disponibilité sexuelle est à la fois un critère de popularité et de mépris.
TW/CW : Violences, maltraitance infantile, harcèlement scolaire, harcèlement en ligne.
La dialectique de la mère et de la pute
Oui, comme vous pouviez vous en douter, aujourd’hui on parle (rapidement, promis) de féminisme.
Un élément du féminisme qui m’a beaucoup marqué, c’est le fait qu’il n’existe que 2 archétypes de femmes aux yeux des sociétés patriarcales (et, en l’occurrence, Amy vit en France, une société patriarcale, et sa famille, d’origine sénégalaise et de confession musulmane, a également une culture patriarcale). Ces 2 archétypes sont les suivants : d’un côté, il y a la femme respectable, celle bonne à marier, celle qu’on imagine porter nos enfants, celle qui n’affiche aucune attirance pour la sexualité à part dans le cadre d’une relation conjugale, bref : la mère (aussi parfois appelée la vierge). De l’autre, il y a celle que l’on méprise, car elle a une sexualité et l’affiche, celle qui couche avant le mariage, qui a potentiellement eu plusieurs partenaires sexuels, bref : la « pute ».
Et ce film aborde très bien ce sujet. En effet, Amy est confrontée à deux attentes incompatibles en parallèle : déjà, sa famille respecte soigneusement les préceptes indiqués par une tante qui semble être la référence locale en matière de religion et qui est très claire sur la position de la femme dans la société (d’ailleurs, à un moment, elle qualifie littéralement des vêtements dénudés comme des vêtements de putain) et attend d’elle qu’elle adhère à ces conventions. Mais, en même temps, c’est le fait de reproduire des attitudes suggestives en danse qu’elle ne comprend pas elle-même qui lui permet d’accéder à la popularité, d’échapper à des vigiles, bref, de s’intégrer. Elle se retrouve donc tiraillée entre deux mondes dont les attentes semblent incompatibles, mais où l’intégration est nécessaire.
Exister dans un monde d’adulte
Je pense qu’en réalité, il s’agit du vrai thème du film. Parce que tout montre qu’Amy, comme son amie Angelica d’ailleurs, est seule et essaye de trouver ses repères. Pour Angelica, la danse est un moyen de montrer sa valeur à des parents qui la dénigrent. Pour Amy, c’est un moyen de s’intégrer à l’école, mais aussi de fuir le malaise qu’elle ressent devant sa situation familiale. Et, dans l’absolu, danser, c’est sympa, c’est valorisant, et on voit qu’elles s’éclatent à apprendre et à faire ce truc typiquement enfantin qui est… D’imiter les adultes.
Sauf que des enfants qui ont un accès non contrôlé aux réseaux sociaux, à internet et à des clips vidéo que les parents n’auraient pas forcément laissé passer à la télé, c’est évidemment des enfants qui sont susceptibles très vite d’être confrontés à des contenus sensuels voire sexuels, de plus sans aucune personne pour vérifier si cela ne les a pas choqué et potentiellement replacer les choses dans leur contexte.
Et ça, le film le montre très bien. Je pense notamment à un geste, visible dès la bande-annonce et qui a fait beaucoup couler d’encre (enfin plutôt de pixels ?) : les petites filles qui mettent un doigt dans leur bouche. La scène qui introduit cette notion est très bien tournée, car on les voit s’entraîner à imiter ce geste (a priori vu par Amy, celle-ci ayant consulté des vidéos de danse et de twerk plus que suggestives) mais il est clair qu’elles n’ont aucune idée de ce qu’elles sont sensées suggérer, comme le montre la façon dont elles prennent la pose. Elles n’ont pas la référence, elles imitent seulement le geste sans comprendre ce qu’elles doivent suggérer. Parce que ce sont des enfants, qui imitent des adultes sans contexte. D’ailleurs, j’ai trouvé un extrait d’une remarque de la réalisatrice, Maimouna Doucouré, sur Allocine : “Bien sûr, ces très jeunes filles ne se rendent pas compte du message qu’elles renvoient en dansant et s’exposant ainsi. [...] Les réseaux sociaux viennent compliquer la donne, car chaque « like » reçu engendre une décharge de dopamine et a contrario, l’absence de plébiscite suscite une baisse de l’estime de soi. Tout cela est préoccupant [...]”, montrant à la fois le décalage entre ce que les enfants pensent faire et ce qu’elles font réellement, et la volonté de Maimouna Doucouré de dénoncer l’hypersexualisation, l’influence des réseaux sociaux, plutôt que de blâmer les enfants ou de minimiser la gravité de la situation.
De plus, la représentation des Mignonnes est, je trouve, très pertinente. En suivant Amy, j’ai retrouvé à travers ses yeux une part de mon vécu en tant qu’enfant, dans un monde où les réseaux sociaux n’existaient certes pas encore, mais qui comprenait déjà les mêmes interrogations, la même naïveté, les mêmes interactions. Il n’est jamais question de faire du personnage d’Amy une adulte avant l’heure pour s’adresser au public adulte : ici, c’est nous qui puisons dans nos expériences pour se souvenir de ce que c’est d’être enfant, et être secoués par la solitude, le paradoxe entre l’innocence qu’on leur reconnaît et la suggestivité que notre regard plus âgé sait identifier, et devant les attentes des adultes.
Car oui, en plus de tout cela, ces enfants (mais principalement Amy) se retrouvent face à des adultes qui ont pour elle… Des attentes d’adultes. En plus du fait de devoir s’occuper de ses deux adelphes, plus jeunes, lorsqu’elle a ses règles sa tante lui parle de fiançailles et de mariage avant même de lui expliquer comment utiliser des protections hygiéniques, et sa mère ne lui dit rien d’autre que « Tu es une femme, maintenant ». Et, surtout, il y a… Le vigile. Cet homme qui, lorsqu’Amy, pour prouver qu’elle et ses amies ne mentaient pas, se met à danser de manière suggestive, montre clairement son désir sexuel pour cette enfant. De nombreuses personnes perçues filles à l’adolescence l’ont connu. D’ailleurs, rappelons que, malheureusement, le racisme passe aussi par la façon dont, dans notre société, les petites filles noires sont très vite sexualisées.
Enfin, les toutes dernières minutes proposent un dénouement terriblement pertinent. Car alors qu’elle est en train de tout perdre dans les deux univers, sa mère intervient pour la protéger de sa tante et lui laisse le choix de se rendre ou non au second mariage. En cela, elle reprend un rôle d’adulte protecteur de son enfant, et elle laisse à ce dernier la liberté de choisir de n’être ni l’un ni l’autre et de, tout simplement, être une enfant.
Je ne vais pas vous mentir : quand j’ai vu la bande-annonce, avant la sortie du film, j’ai eu très peur. Des films qui parlent de jeunes de banlieues sans rien y connaître et qui sexualisent des jeunes filles, il y en a à la tonne. Mais en cherchant, j’ai appris que la réalisatrice était elle-même franco-sénégalaise et donc qu’elle avait très probablement été confrontée à tout cela. En fouillant un peu plus sur internet, Ipemf et moi avons découvert un discours où elle parlait du mépris qu’elle avait reçu en tant que femme noire réalisatrice, et du fait que ce film était justement là pour dénoncer la sexualisation des enfants. Ça nous a pris en tout 10 minutes (temps de visionnage compris), et c’est un travail que, de toute évidence, les personnes qui hurlent au boycott n’ont pas pris le temps de réaliser. Car Maimouna Doucouré a très bien travaillé, et propose un film qui dénonce la sexualisation sans tomber dans le jugement des enfants qui en sont victimes, qui montre les oppressions patriarcales à l’œuvre sans tomber dans la facilité de trouver un bouc émissaire, bref : un film empli de talent et de pertinence à côté duquel les adorateurices de la cancel culture et du harcèlement en ligne passeront.
Sur ce, je vous souhaite une excellente fin de journée, et si vous en avez l’envie et l’énergie, cultivez-vous !
Hel
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Je glisse pour laisser mon rapide avis post-visionnage (c’est les vacances, je vais quand même par faire un article non mais oh !) :
Premièrement : brûlons l’équipe marketing de Netflix. Ce qu’ils ont fait est proprement scandaleux et j’ai peur que cela ait définitivement condamné le film et son rayonnement, même en France, alors qu’il était clairement nécessaire pour apporter un peu de sang neuf à notre ciné. D’autant plus qu’on a bien senti la fachosphère récupérer le scandale pour traîner Maimouna Doucouré dans la boue, ce qui me rend encore plus désespéré de voir certain’es militant’es suivre le mouvement…
Ensuite, pour le film en lui même, tu as globalement résumé ce que j’ai pensé. Pour moi c’est simple : les 10 dernières minutes du film sont la conclusion parfaite, magnifique et bouleversante du problème initialement soulevé.
Preuve de la réussite du travail de l’équipe : mes instincts d’ancien éducateur se sont réveillés pendant tout le film. J’y ai reconnu mes anciens élèves : leur façon de monter en pression pour un rien (merci les tendances à la réaction instantanée des RS), leurs angoisses, préoccupations et surtout leur innocence et naïveté se confrontant à cette tendance d’en faire des adultes trop tôt.
Mignonnes est un film sur la descente dans les enfers du patriarcat, allant de plus en plus loin mais ne dépassant jamais les limites car il reste en ce monde des adultes qui arrivent à retrouver leurs esprits d’éducateurs en rappelant aux enfants qu’il n’ont qu’un rôle : mener leur vie d’enfant.
Au final, il s’agit avant tout de s’interroger sur notre perméabilité aux injonctions patriarcales : dans la culture, la religion, les réseaux sociaux, la société, le capitalisme ; que ce soit du côté des enfants mais aussi des adultes.
Mignonnes est un très beau film qui mérite beaucoup plus de soutien.