[Even Indier] Dr. Langeskov, The Tiger, and The Terribly Cursed Emerald: A Whirlwind Heist

William Pugh est co-créateur de The Stanley Parable avec Davey Wreden. Face à cette information il y a deux réactions possibles : soit vous avez joué à The Stanley Parable et savoir que je vais parler d’un jeu en rapport avec ses créateurs vous fait au moins hausser un sourcil intrigué, soit vous n’avez pas joué à The Stanley Parable auquel cas allez y jouer pendant quelques heures et revenez plus tard. Ceci étant dit nous pouvons revenir à nos deux game designers, Pugh et Wreden. Paradoxalement le succès retentissant de leur jeu a eu l’air de les affecter fortement et dans un sens peu appréciable du terme, ils ont par ailleurs décidé de revenir sur ce succès un an après sa sortie et vous pouvez retrouver l’interview ici. Suite à cela ils arrêteront de travailler ensemble, Wreden de son côté développera un de mes jeux préférés à savoir The Begginer’s Guide qui traite de son incapacité à gérer le succès et de l’autre Pugh ira fonder le studio Crows Crows Crows. Le 2 décembre 2015, un compte à rebours apparaît sur le site dudit studio annonçant un nouveau jeu sortant 2 jours après. Il s’agit évidemment de celui dont nous allons parler aujourd’hui : Dr. Langeskov, The Tiger, and The Terribly Cursed Emerald: A Whirlwind Heist.

On la sent l'influence The Stanley Parable ou pas ?

On la sent l'influence The Stanley Parable ou pas ?

Une fois n’est pas coutume, ce jeu est disponible sur Steam pour un prix modique de 0€ mais si vous souhaitez soutenir le studio, vous pouvez aller l'acheter à prix libre sur leur page itch.io (ce que je vous encourage à faire si vous pouvez vous le permettre). Le principe de Dr Langeskov blablabla est de vous montrer comment fonctionne un jeu vidéo de l’intérieur, à savoir avec un bonhomme qui actionne différents boutons qui modifieront l’état du niveau afin de permettre au joueur d’avancer. On conviendra aisément que cette représentation manque d’une certaine rigueur technique et scientifique mais après tout j’avais promis de parler d’un jeu plus léger ce mois-ci !

On se retrouve dans cette situation d’homme à tout faire au début du jeu pour une raison assez simple : nous sommes arrivé·es dans le jeu alors qu’une autre partie est déjà en cours et que l’ensemble des technicien·nes chargé·es d’actionner les différents mécanismes sont en grève. On va donc devoir se glisser dans l’envers du décor pour aider le joueur présent à terminer sa partie en suivant très précisément les instructions données par le superviseur… Ou pas en fait car à la manière de The Stanley Parable vous aurez le choix de suivre aveuglément ce maître du jeu ou au contraire d’essayer de nuire le plus possible au joueur que vous êtes censé·e guider. Or toute la force de ce titre réside dans le fait que les résultats de vos choix s’effectueront toujours hors champ : vous êtes dans les coulisses et jamais il ne vous sera possible de voir ce à quoi ressemble véritablement l'expérience voulue avant d’avoir mené l’intégralité de votre mission à bien.

Le fameux tigre que vous serez peut être amené·e à voir

Ne tergiversons pas des heures, Dr. Langeskov, The Tiger, and The Terribly Cursed Emerald: A Whirlwind Heist est extrêmement drôle, très bien maitrisé et malgré sa durée de vie d’une vingtaine de minutes, il reste une expérience marquante qu’on appréciera revivre de temps à autre. Cependant ce n’est pas pour ces qualités-là que je vous en parle aujourd’hui mais pour son aspect méta-jeu et je ne peux parler de cet aspect sans révéler une grosse partie du scénario, je suppose donc qu’à partir d’ici soit vous l’avez testé soit vous vous en foutez.

Le message principal du jeu nous apparaît plutôt rapidement : le jeu vidéo est une illusion semblable au théâtre ou à un train fantôme. En effet dès le premier temps de chargement nous pouvons voir les fichiers que le jeu charge comme autant d’éléments de décors et de costumes. Par la suite nous arrivons dans ce qui ressemble à un backstage et dans lequel le menu fait partie du décor renforçant le côté artificiel de cet élément qui n’est, non pas un élément pratique permettant d’accéder à des options du programme mais bel et bien un simple élément de mise en scène, déplaçable et réutilisable à l’envie. Le narrateur lui-même est comparable à un metteur en scène dont le but est de garantir le bon déroulé de la représentation en mettant en branle au bon moment toutes les micros attractions qui parcourent l'expérience. Cependant, contrairement à un artiste tyrannique et dogmatique le narrateur semble hésitant et répondant à une hiérarchie stricte.

Or cette hiérarchie plane sur l’œuvre comme une ombre au travers de nombreux éléments annexes. Là où elle est le plus évidente c’est lorsque le narrateur évoque les divers incidents survenus à cause de la mauvaise maintenance et ayant coûté la vie à nombre de techniciens comme l'incident avec le tigre par exemple. Cela dit si l'on prend le temps de fouiller un peu plus le décor on voit d'autres traces de la pression subie par les employé·es du complexe que nous explorons. En effet de nombreuses pancartes et feuilles volantes font état de paies ridicules et de conditions de travail extrêmement dangereuses comme des lieux inondés ou incendiés par exemple. Le paroxysme du développement de ce background étant atteint grâce au magnétophone récupérable en début de partie sur la table. Vous trouverez disséminées dans les niveaux des cassettes audio faisant état de l'incompétence notable des dirigeants de cette structure censée ravir les joueurs s'y présentant. On voit donc poindre une critique plutôt cinglante de l'industrie du jeu vidéo et de ses abus envers ses employé·es au travers de ce background invisible à première vue.

Cimetière de pancarte sur fond de workflow ©

Du coup une question me vient : Est-ce que Dr Langeskov est un jeu sérieux tel qu'en a été donnée la définition dans ce précédent article ? À première vue non car se dimension politique peut être complètement ignorée en suivant simplement les ordres du narrateur. Malgré tout, même en restant à ce niveau simple de lecture, il reste très intéressant : en comparant le jeu vidéo à un pièce de théâtre, Dr Langeskov réaffirme la dimension artistique de ce média tout en proposant une expérience narrative divertissante de par son absurdité. On se retrouve ainsi face à une œuvre qui, à la manière d'une BD de la série Julius Corentin Acquefacques, joue sur la spécificité du medium et plus précisément sur le principe de choix, élément clef du jeu vidéo. Cependant en prenant le temps de se pencher sur le background on voit clairement la portée critique de l’œuvre, dénonçant les pratiques peu éthiques des studios entre deadlines intenables, conditions de travail dégradées et risque d'accident menant plus ou moins inévitablement à l'apparition de bugs.

On en vient donc au propos que je voulais illustrer à travers ce jeu, à savoir repenser ce terme de jeu "sérieux". En effet Dr Langeskov est aux antipodes de la considération habituelle que l'on a du terme sérieux, il est au contraire plutôt absurde et humoristique et ceci n'enlève rien à sa valeur politique explicitée plus haut. Si un jeu "sérieux" est un jeu dont le but est de faire réfléchir le spectateur, pourquoi ne pas appeler ça un jeu politique ou philosophique ou n'importe quel autre terme terminant en "-ique" et qui désigne une idée similaire ? Pourquoi une œuvre faisant réfléchir se devrait-elle d'être sérieuse ? Et enfin est-ce parce qu'une œuvre n'est pas sérieuse dans sa forme que son propos a moins de portée ? Ce jeu répond que non, tout comme les Monty Python ont estimé pouvoir faire une comédie absurde sur le sens de la vie, Dr Langeskov prétend pouvoir faire un jeu absurde sur les dérives de l'industrie. Par cette démarche, le studio Crows Crows Crows nous rappelle que la satire et l'humour sont des outils analytiques et politiques comme les autres et donc soumis aux même critiques. J’avais promis de parler d’un jeu plus léger, je n’avais pas promis de parler d’un jeu avec une moins grande portée critique et analytique ! Dans tous les cas continuez à jouer et à analyser ce à quoi vous jouez, en somme cultivez-vous.

Duno

Duno

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