[Jeux Vidéo] The Talos Principle : Une maïeutique vidéoludique

Bonjour à tous, à toutes et aux personnes neutres que la langue française s'obstine à ignorer ! Après cette très longue période d'absence dont je m'excuse platement, me voici de retour pour parler d'un jeu qui a fait sensation à la fin de l'année dernière.

Edité par Devolver Digital, qui a déjà financé des perles comme Hotline Miami ou Luftrausers et développé par les Croates de Croteam à qui l'on doit la trilogie des Serious Sam, The Talos Principle a reçu un excellent accueil à sa sortie en décembre dernier. En effet, sa page d'achat Steam arbore fièrement : "98 % des 1556 retours d'utilisateurs sont positifs" ainsi que son obtention de 9 récompenses. Depuis la sortie de Portal, difficile d'échapper à la comparaison avec ce dernier dès qu'un jeu d'énigmes à la première personne sort. Or, évacuons cette question de suite, si ces titres sont similaires sur leur CCC (Controls, camera, character / Contrôles, caméra, personnage), le reste diffère complètement. Le parti pris par Croteam et qui fait la spécificité du jeu est la prédominance du choix. Cette volonté se retrouve tout d'abord dans le level design puisque sa circulatoire, c'est à dire le type de route pour atteindre l'objectif, est semi linéaire. Reprenons la comparaison avec Portal qui possède une circulatoire linéaire afin de comprendre ce que cela signifie. Dans Portal, le but est d'aller du début du jeu à la fin en passant par un certain nombre de checkpoints définis par les développeurs. Le joueur est forcé de passer par tous ces points afin d'atteindre la fin du jeu (à moins d'abuser de bugs bien sûr mais c'est un autre débat).

Dans The Talos Principle, on peut librement se balader dans 3 zones, elles-même constituées de maximum 8 mondes, chaque monde possédant un nombre variable d'énigmes. On peut ainsi faire les énigmes dans l'ordre que l'on souhaite et il est possible de finir le jeu sans toutes les résoudre. Après, bien sûr, la fin diffère si vous faites le minimum d'énigmes, toutes les énigmes principales ou toutes les énigmes. À mon humble avis, je vous conseille de faire toutes les énigmes principales, les deux autres fins étant de bien moindre qualité, mais nous y reviendrons. Ces énigmes principales s'organisent en des portions de terrains fermées d'où aucun objet ne peut entrer ni sortir à cause d'un champ de force. Le but de chacune d'entre elles est de récupérer un tétramino appelé Sigil et protégé par une porte.

Come get me !

Come get me !

Bien sûr pour parvenir à attraper cette Sigil, il vous faudra résoudre des étapes intermédiaires comme ouvrir plusieurs autres portes, amener un cube sur une plaque ou diriger un faisceau lumineux par exemple. Afin d'effectuer toutes ces actions vous aurez besoin d'objets qui se débloqueront au fur et à mesure de votre avancée. Par exemple, je parlais de diriger un faisceau lumineux et bien pour se faire vous devrez débloquer une sorte de trépied qui permet de relier une source lumineuse à un autre trépied ou à un réceptacle de lumière. Je vous laisse la surprise des autres déblocables afin de ne pas gâcher la surprise de la découverte ! Si les premières énigmes sont plutôt simples, la difficulté grimpe rapidement et jongler entre les différents objectifs d'une énigme ne sera pas toujours chose aisée. Comme si cela ne suffisait pas, les créateurs du jeu ont pris soin d'intégrer des culs de sac inutiles à la résolution du puzzle afin de nous perdre encore plus. Ainsi la possibilité d'abandonner provisoirement un défi trop complexe n'en devient que plus appréciable et empêche la frustration d'être bloqué·e dans la progression globale du jeu. De plus, afin de donner l'illusion d'avancer continuellement, il n'est pas rare de tomber sur un défi très facile au milieu de deux ou trois plus complexes. Maintenant si vous voulez finir les énigmes bonus et donc finir le jeu à 100 %, il vous faudra envisager votre environnement différemment, la solution impliquant souvent de détourner un objet de son utilisation première...

Votre meilleur ami pour les énigmes secondaires !

Votre meilleur ami pour les énigmes secondaires !

Si je parlais en introduction de l'importance de la notion de choix, c'est parce que celui-ci se retrouve aussi dans un aspect très important du jeu : la narration.
La base de l'histoire est assez simple, voire simpliste : on incarne un robot qui va effectuer une série de tests dans un but inconnu sous l'égide d'un certain Elohim. Ce dernier va se poser comme un Dieu protecteur, qui va encourager le joueur, le féliciter, mais également l'avertir quant à ses interdits, le principal étant : « Ne monte pas en haut de la grande tour ». Au joueur la liberté de lui obéir ou non...

Mais s'il y a un élément de la narration qui va nous faire rester devant le jeu, voir nous donner envie d'y revenir une fois fini, c'est bien la Milton Archive Library (MLA). En effet, dans chaque monde, il sera possible de trouver un ou plusieurs ordinateurs dans lesquels le programme Milton s'exécutera. Cette intelligence artificielle va questionner le joueur qui se verra proposé un ensemble de réponses à chaque question. Un véritable dialogue philosophique s'engage alors entre le joueur et la machine puisque la question qui parcourt tout le jeu est « Quelle est la différence entre être vivant, être conscient et être humain ? ». Chaque réponse fournie alimente le programme Milton qui va alors commenter votre réponse et vous reposer une autre question par rapport à ce que vous venez de choisir. Le but de cette manœuvre est de détecter les éventuelles failles de votre raisonnement, vous mettre face à vos propres contradictions et relever ce qui tient de la croyance, plus que de la réflexion. Ce procédé est un procédé philosophique très ancien puisqu'il provient de celui que l'on considère classiquement comme le tout premier philosophe : Socrate. Platon rapporte dans Le Banquet que Socrate pratiquait ce qu'il appelait la maïeutique, que l'on peut traduire par "faire accoucher", qui consistait à interroger des gens afin d'également mettre en exergue les failles de leur raisonnement.

L'amour platonique

L'amour platonique

Cette volonté de faire référence à la Grèce antique n'est pas anodine puisque le titre même du jeu fait référence à un mythe antique : celui du géant de bronze Talos, protecteur de l'île de Crête. Ce dernier était invincible sauf au niveau de son talon, lieu où passait une veine qui le maintenait en mouvement. La question que pose le jeu en choisissant ce mythe est la suivante « Un automate comme le géant Talos était-il vivant ? » et ce sera au joueur d'élaborer une réponse au fur et à mesure de son dialogue avec la MLA. Par ailleurs, tout au long du jeu, vous aurez accès à des textes qui seront soit des extraits de textes philosophiques antiques ou médiévaux (en fonction de la zone dans laquelle vous vous trouvez), soit des extraits de conversation entre des personnages fictifs qui vous renseigneront sur vos origines ainsi que le but de votre parcours.
On touche ici à la fois le meilleur point du jeu et son plus gros défaut : la profondeur et les implications philosophiques du scénario. Lire les textes et dialoguer avec la MLA est passionnant, enrichissant, force à se questionner et à reconsidérer des aprioris que l'on peut avoir. Mais il y a forcément un revers de la médaille à cela : les énigmes paraissent fades au bout d'un moment. Au fur et à mesure que l'on avance, l'attente que l'on va avoir du jeu évolue. Si au début nous découvrons les énigmes et souhaitons en résoudre toujours plus sans vraiment faire attention à cette MLA qui ne présente qu'un intérêt très limité lors des premières rencontres, par la suite on risque de se désintéresser du challenge mental proposé par les créateurs et chercher une solution du jeu afin d'accéder plus rapidement à un dialogue avec la MLA. Ce problème possède une origine très simple à comprendre : la narration est complètement dissociée du gameplay. Ce que j'entends par là, c'est que les ordinateurs permettant d'accéder à la MLA sont dans les zones reliant les énigmes mais n'ont aucune influence sur ces dernières. Le seul lien qui relie les deux est Elohim et encore, il ne s'agit que d'une voix dans le ciel. Ainsi lorsque l'on dialogue avec la MLA, on se fout des énigmes et inversement lorsque l'on résout ces défis.  On en vient même parfois à souhaiter que les deux ensembles soient dissociés : d'un côté un jeu d'énigmes classique avec une histoire bateau faisant énormément penser à Portal, et de l'autre un programme qui permettrait de dialoguer avec la MLA et de refaire les dialogues encore et encore afin de se noyer dans ce tourbillon incessant de questions auxquelles les philosophes ont prétendu apporter des réponses, et ce depuis l'Antiquité, sans jamais parvenir à se mettre d'accord entre eux.

L'histoire de la philosophie en une image

L'histoire de la philosophie en une image

C'est bien là le seul défaut que je vois à ce The Talos Principle mais cela reste un défaut de taille puisque finalement on ne profite complètement d'aucun gameplay (en supposant que de cliquer sur des cases pour répondre à des questions puisse s'appeler un gameplay). Les énigmes coupent la réflexion que l'on menait et la MLA bloque la dynamique de collecte des Sigils et ceci rejoint une critique à faire au scénario mais, comme cela concerne directement la fin du jeu, je m'en vais la cacher dans un spoiler !

Attention spoiler SélectionnerRévéler

Malgré les défauts relevés ici, difficile de ne pas recommander l'achat de ce The Talos Principle. Croteam nous prouve ici que l'on peut très bien passer de la création d'un FPS bourrin à un jeu infiniment plus subtil. J'entends par là que si le joueur arrive à passer outre cette séparation entre narration et gameplay, il expérimentera des énigmes complexes mais excellemment maitrisées ainsi qu'un scénario dont la profondeur et les implications métaphysiques ont une portée que peu de jeux vidéo ont pu se targuer d'offrir jusqu'à présent.

Sur ce, pensez à jouer, pensez à vous cultiver et moi je vous dis à bientôt pour un prochain article !

Duno

Duno

One thought on “[Jeux Vidéo] The Talos Principle : Une maïeutique vidéoludique

  1. La réaction que tu présentes vis-à-vis de la fin la plus dure est intéressante, parce qu’elle éveille plusieurs niveaux d’analyses, je trouve.
    (J’ai pas eu l’occasion d’y jouer, donc je me base uniquement sur tes propos, hein)
    Déjà, pourquoi le fait de finir au service d’autres robots serait une mauvaise fin en soi ? Je veux dire, en admettant que l’ « humanité » robot soit une société, il y aurait bien besoin de robots dont la mission serait d’aider les autres ? Du coup, est-ce que c’est lié à une perception aidé=dominant, aidant=dominé.e, comme essaye de nous le faire croire la société actuelle ?
    Ensuite, pourquoi est-ce que ce serait illogique ? De ce que tu en dis, le moyen d’être éveillé.e est de désobéir. Du coup admettons que l’on s’avère être des robots dont la capacité est de très bien compléter les tâches que l’on demande, mais sans jamais faire preuve de libre-arbitre : est-ce que ce ne serait pas plus logique d’avoir une tâche attribuée correspondant à nos compétences avérées plutôt que d’attendre de nous de faire quelque chose qui n’est pas de notre niveau ?
    (En considérant ici que cette répartition de tâches n’implique pas de hiérarchisation/valorisation d’un groupe par rapport à un autre)

    Je sais que l’article est vieux, que ton analyse a peut-être évolué depuis, mais c’est un sujet que je trouve intéressant et j’apprécierai beaucoup d’en discuter à l’occasion :)

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