It’s spooky season!! Les journées raccourcissent, la nuit s’épaissit et les ombres s'attardent dans nos salons. Gargouilles, sorcièr’es, fantômes et immortel’les sont conviæs au coin du feu, prêt à nous conter leurs histoires. Alors installez vous confortablement et laissez moi vous accompagner pour une balade d’histoires très courtes (entre 130 et 200 pages) à dévorer par une soirée sombre qui vous feront frissonner et tendre l’oreille au cœur de la nuit. Une balade sous les pluies d'octobre "où les collines sont de brouillard et où les rivières sont de brumes". 1. Le pays d'octobre, Ray Bradbury
Vampires et saphisme au milieu des brumes
Carmilla
Auteur : Sheridan Le Fanu
Genre : roman gothique, horreur
TW : mort
Synopsis : Dans un château de la lointaine Styrie, au début du XIXe siècle, vis une jeune fille solitaire et maladive. Lorsque surgit d’un attelage accidenté près du vieux pont gothique la silhouette ravissante de Carmilla, une vie nouvelle commence pour l’héroïne. Une étrange maladie se répand dans la région, tandis qu’une inquiétante torpeur s’empare de celle qui, bientôt, ne peut plus résister à la séduction de Carmilla… Un amour ineffable grandit entre les deux créatures, la prédatrice et sa proie, associées à tout jamais « par la plus bizarre maladie qui eût affligé un être humain ».
Au mot vampire, c’est cette vision de la créature pâle, aux dents pointues vivant à l’abri de la lumière dans un vieux manoir de pierres sombres qui nous vient tous en tête. Le célèbre Comte Dracula de Bram Stoker est souvent présenté comme l’origine de cette vision, pourtant, plus de 25 ans avant, avec Carmilla, Sheridan Le Fanu s'aventurait déjà dans le tombeau d’un vampire. Très méconnu du grand public, Le Fanu n’en reste pas moins l’une des influences majeure de nos vampires modernes.
Dans la plus pure tradition du roman gothique anglais, au cœur d’un pays emprisonné par les brumes, se trouve un vieux château médiéval perdu dans les Landes autrichiennes, il abrite derrière ses murs de pierre une jeune femme solitaire et innocente, son journal pour seule occupation. Des rumeurs circulent sur une étrange maladie sévissant dans la région et une jeune nouvelle arrivante au comportement terriblement envoûtant semble y être lié. Entre amour proscrit et tendresse sanglante, on retrouve une ambiance pleine de mystère et de langueur douce propre aux longues journées de pluie d’automne.
Doux, simple et sensuelle. Le style de Sheridan Le Fanu est tel que dès les premières pages, on se retrouve captif de la créature qu’il nous présente, on est happé dans l’histoire sans plus aucun espoir d’y échapper. On découvre le récit à travers les yeux de Laura, dans les pages de son journal intime, on sent derrière les lignes toute la tendresse de la narratrice, mais aussi toute la retenue de celle-ci. Sa rencontre avec Carmilla la touche plus qu’elle ne veut bien l’admettre, elle n’ose véritablement se confier, ne nous laissant que de vagues aperçus de ce qui peut se dérouler une fois les portes closes. Laura ne peut résister au charme de Carmilla, mais elle ne peut se confier véritablement à nous, seulement le sous-entendre, tout comme la véritable nature de Carmilla, tout est dans les sous-entendus. Tout est dans ce qui n’est pas dit, la vérité se cache dans les phrases à moitié prononcés, dans les regards à la dérobée et les nuits sans sommeil.
Carmilla est véritablement une lecture douce et pleine de sensualité à dévorer par une soirée sombre.
"Elle me caressa de ses mains, s'allongea à côté de moi et m'attira vers elle en souriant. Je me sentis immédiatement apaisée et me rendormis. Je fus réveillée par la sensation que deux aiguilles avaient été profondément enfoncées dans ma gorge et me mis à hurler"
Carmilla - Sheridan le Fanu
Ne cessons jamais de croire aux monstres sous nos lits
De La Poussière À La Chair
Auteur : Ray Bradbury
Genre : Fantasy, science-fiction
Synopsis : Iels y vivent depuis des siècles, dans un manoir enveloppé de secrets et d’énigmes. Iels ne sont pas comme les autres. On ne les rencontre jamais sous les rayons du soleil, leurs enfants sont curieuxses et sauvages ; leurs ancien’nes ont survécu depuis bien avant que le Sphinx ait posé ses pattes sur le sable d’Egypte. Et certain’es dorment dans des lits dotés de couvercles. Et il y a le garçon, le jeune Timothy, orphelin mortel abandonné sur le seuil d'un vieux manoir, qui plus que quiconque porte le poids du temps sur ses épaules. Timothy, celui qui doit écouter, se souvenir et raconter. Et qui, lui seul, devra un jour vieillir et affronter la mort.
Initialement une collaboration, malheureusement jamais réalisée, avec Charles Addams, père de la famille éponyme, De la Poussière à la Chair n’en reste pas moins un magnifique hommage aux Addams. L’histoire d’une famille d'immortel’les, la famille Elliot, vivant en marge des humains dans une immense maison pleine de secrets. Des années plus tôt, a été déposé devant leur porte le jeune Timothy encore bébé, chargé de conter leurs histoires. C’est de part ses yeux que l’on découvre cette famille de zombies, momies, créatures ailées et autres extraordinaires monstruosités.
Cette famille ne cause de soucis à personne, vivant à l’écart sans jamais interférer dans la vie des humains, cependant, ceux-là ne veulent plus croire, le cynisme les gagnent. La famille qui, à une époque, prospérait, flétrit et se meurt petit à petit sous les regards froids de ce monde. On les oublie. C’est leur fin qui nous est contée. La dernière trace de ce qui faisait d'eux des êtres extraordinaires. Nous sommes les témoins de la fin d’une époque, Timothy est le seul à pouvoir y survivre.
Chez Ray Bradbury, on retrouve cette atmosphère douce, pleine de nostalgie qui est capable de nous transporter dans des pays pleins de pluie et de souvenirs en quelques lignes. De la Poussière à la Chair en est le meilleur exemple, au fil des pages, il s’y dégage cette douceur amère, cette mélancolie propre aux récits de Bradbury. Il n’écrit pas des fantômes traditionnels, pas plus qu’il n’écrit de cimetières, de promeneurs étranges et de meurtres saisissant. Il écrit des contes qui restent avec nous des années durant, des contes qui nous marquent profondément : des histoires d’immortel’les. Sombre, touchant et merveilleusement monstrueux.
Cependant, ce livre souffre d’une mauvaise publicité, la quatrième de couverture suggère une histoire complexe abordant nazisme et fascisme, mais dans les faits ? Pas tant que ça. Il s’agit d’un recueil de nouvelles que Bradbury aura écrit tout au long de sa vie, lui demandant plus d’un demi-siècle pour en arriver au bout, y mêlant ses propres souvenirs d’Halloween chez une tante extravagante. Ce qu’il faut y voir, c’est, selon moi, plus un témoignage de l’amour de Bradbury pour les histoires d’immortel’les, une chronique de souvenirs, parfois un peu confus mais toujours sincères. C’est une famille vers laquelle on revient, une famille chez qui on se sentira en sécurité, qui nous accueillera toujours entre les hauts murs de leur demeure, remplie de mille mois d’Octobre sans fin.
“Et cela commença avec le vent.
Il envahit le monde comme une grande bête invisible, et le monde entier l'entendit passer en une saison de chagrins et de lamentations, une noire célébration de ce qu'il charriait pour le disséminer, et l'ensemble emportant tout le haut Illinois dans sa tombe. Avec des déferlements de marée et des amuïssements du fracas, il déroba aux tombes la poussière dans les yeux de leurs anges de pierre, aspira dans les sépulcres les chairs spectrales, s'empara d'anonymes bouquets funéraires, secoua les arbres des druides pour déverser la moisson de feuilles en un déluge aride, un bataillon de mues et d'yeux ardents qui flambèrent avec démence dans des océans de nuées voraces, se déchirant en banderoles de bienvenue pour escorter les occupants de l'espace au fur et à mesure que leurs effectifs augmentaient jusqu'à faire résonner les deux de tels débordements mélancoliques d'époques révolues que, dans les cours de fermes, un million de dormeurs s'éveillèrent avec des larmes sur le visage, en se demandant s'il avait plu dans la nuit, contre toute prédiction ; qui flambèrent aussi sur le fleuve orageux au-delà de la mer, bouillonnant sous la gravité de ces adieux et de cette arrivée.”De la poussière à la Chair - Ray Bradbury
Un château duquel on ne peut échapper
Nous Avons Toujours Vécu Au Château
Autrice : Shirley Jackson
Genre : Roman horrifique
TW : meurtres, maladies mentales, mentions d’agressions sexuelles
Synopsis : On dit que l'horreur a toujours habité le château. Elle s'appelle Mary Katherine Blackwood, elle a dix-huit ans, elle vit au château avec sa sœur Constance et leur oncle. Elle déteste le bruit, les chiens et les êtres humains. Tous les êtres humains. Même les membres de sa famille. Mais, en réalité, ceux-ci sont morts. Mystérieusement. On dit qu'iels ont été tous empoisonnæs. On dit que Mary Katherine pourrait être la meurtrière. On dit même qu'elle se change parfois en loup-garou. On dit tant de choses… Elle vit en isolation, protégée derrière les hauts murs du château, mais quand un lointain cousin arrive en ville, tout change, et les secrets endormis refont surface.
Ce livre est court : à peine 200 pages et une écriture fluide, c’est tout ce qu’il faut à Shirley Jackson pour nous horrifier. Il y a tant à dire sur ce texte, j’aimerais en parler pendant des pages, mais cela ne ferait que gâcher le plaisir de votre découverte. Je ne connaissais rien de ce livre avant de l'acheter, je suis loin d’aimer les histoires d’horreur, (mon cœur en pudding est trop faible pour les supporter) mais alors je dois dire qu’il s'agit sans doute de l’une des plus grosses claques littéraires que j’ai reçu ces dernières années.
Bizarre, étrange, troublante, sinistre et dérangée. Une personne : Mary Katherine ‘Merricat’ Blackwood. Toute sa famille a été assassinée à l'exception de sa sœur Constance et de leur oncle. La narration se fait à travers les yeux de Merricat, mais très vite, on comprend que la narratrice n’est pas digne de confiance, elle est notre seul point d'ancrage dans l’histoire, mais il y a quelque chose d’autre, un sentiment dérangeant qui découle des pages. Une vision que l'on sait biaisée, déformée par l'esprit perfide de la narratrice.
Il n'y a ni jump scares, ni scènes de poursuite dans les longs couloirs du château, ni bruits suspects dans le noir. Non, et pourtant ce livre est terrifiant. C'est de ses personnages, de son ambiance que Shirley Jackson parvient à nous faire perdre le sommeil. Elle y excelle. Quelques lignes, un paragraphe à peine, c'est tout ce dont elle a besoin pour nous faire ressentir l'horreur, l'étrangeté du lieu. Faire se dresser les cheveux de nos nuques, non pas par les bruits soudains, mais par cet étrange sentiment d'horreur qui sommeille au plus profond de nous-même, réveillé sous une plume experte. Cette peur de ce qui nous dépasse, cette peur de ce que nous ne contrôlons pas, de ce qu'on ne connaît pas, cette peur de ce que nous pourrions faire aux autres. L’horreur se cache dans ce qui n'est pas dit, ce que l'on croit entre-apercevoir derrière les portes closes. L'horreur se cache en nous.
Mais le plus terrifiant, ce qui nous saisit au plus profond de nous-même, c'est que l'on finit par prendre le parti de Mary Katherine, on sent que quelque chose ne va pas, mais avec chaque page tournée, chaque minute passée dans son esprit, on ne peut s’en empêcher. Malgré toute l’horreur qui découle d’elle, malgré ce que l’on sait, mais qui n'est pas dit, on se sent presque légitimer les actions de Merricat. On lui pardonne, on l'excuse. On se met à sa place. On se sent oppressæ, pris au piège dans son esprit, tout comme les habitant’es du château, il nous est impossible d’en quitter ses murs, une fois que nos pieds en ont foulé le sol.
Merricat Blackwood n'est pas un personnage que l'on peut oublier. Elle est écrite avec un tel réalisme, une telle justesse que les pages prennent vie en sa compagnie. Elle erre des heures durant au milieu de la forêt, suivant une magie tordue aux étranges rituels qui jamais ne doivent être perturbés. Rien ne doit jamais être chamboulé, changé ou alors… Ou alors…
“Je m’appelle Mary Katherine Blackwood. J’ai dix-huit ans et je vis avec ma soeur Constance. Je me suis souvent dit que j’aurais fort bien pu être un loup-garou, car l’index et le majeur de mes deux mains sont de la même longueur, mais il a fallu que je me contente de mon sort. J’ai horreur de me laver, je déteste les chiens et le bruit. J’aime bien ma soeur Constance, Richard Plantagenet et l’amanite phalloïde. Tous les autres membres de ma famille sont morts.”
Nous avons toujours vécu au château - Shirley Jackson
Halloween est tout proche, alors profitons en de la plus agréable des manières avec des récits qui feront se dresser les poils de nos bras. Faites vous peur, ou profitez de l’atmosphère brumeuse. Convoquez les ombres et écoutez les parler. Lisez et surtout ne cessons jamais de croire aux histoires de fantômes !
Manuela
Article corrigé par Mahikan
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Notes
↑1 | Le pays d'octobre, Ray Bradbury |
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