[Série] Lupin – Cambriolage, charisme et justice sociale

Une image : la personne honnête, bonne, retrouvée pendue, suite à son opposition à la bourgeoisie. C’est ce plan récurrent qui caractérise le fait que Lupin, la nouvelle série Netflix déjà couronnée de succès, n'est pas seulement d’un très bon divertissement plein de candeur, mais également une production qui n'aurait jamais trouvé sa place sur les chaînes TV traditionnelles. Lupin tacle un système bourgeois, raciste et violent : seul Netflix pouvait en prendre la charge. 

Diffusion : Netflix

Showrunner : George Kay, François Uzan

Casting : Omar Sy, Ludivine Sagnier, Clotilde Hesme, Hervé Pierre

Synopsis : Il y a 25 ans, la vie du jeune Assane Diop est bouleversée lorsque son père meurt après avoir été accusé d'un crime qu'il n'a pas commis. Aujourd'hui, Assane va s'inspirer de son héros, Arsène Lupin - Gentleman Cambrioleur, pour le venger...

TW/CW : Suicide, sang, mort, racisme. 

Qu’il est doux (ou fatigant, cela dépend de votre usure mentale du moment) le son des supplications vaines des crétins incapables de lire plus de deux lignes de synopsis, se révoltant de voir un acteur noir “incarner Arsène Lupin”. De cette manière ils montrent toute l’étendue de leur bêtise raciste puisque, premièrement, Omar Sy n’incarne pas le célèbre gentleman cambrioleur, mais Assane Diop, un copycat talentueux prenant pour héritage les aventures du personnage de fiction, et que, deuxièmement, cela ne les avait pas dérangé lorsque Depardieux incarnait Dumas. Mais nous le savons : même si ces tristes hypocrites avaient pris sur eux la douloureuse et insurmontable tâche de lire le résumé de la série, ils auraient porté le même discours. Ils ne sont pas intéressés par la “juste” représentation d’une œuvre (si toutefois ceci existait), mais uniquement par leurs considérations fascistes. Ainsi, Lupin a rejoint les innombrables œuvres mises au piloris par l’extrême droite car elles avaient l’outrecuidance de représenter des personnes racisées. Le souvenir de la piètre prestation de Norman au sujet de Lashana Lynch devant prendre prochainement le rôle de l’agent 007 est encore très frais. On peut également penser à Mignonnes, accusé à tort de pédophilie à cause d’une erreur marketing, ce qui a permis à ces mêmes cuistres de sauter sur l’occasion pour descendre le film.
Heureusement, ce triste épisode, devenu commun sur les réseaux sociaux toujours plus prompt à affirmer qu’à discuter, ne devrait pas entacher le succès de la série puisqu’elle est diffusée sur Netflix, lui conférant ainsi une certaine sécurité. Le contraire aurait été largement injuste puisque Lupin est une belle réussite. 

À vrai dire, faire d’Assane non pas une simple adaptation moderne du personnage, mais bien un fier héritier des pratiques et du code de conduite du personnage, est sans doute le choix le plus intelligent de la série. Non seulement parce que cela permet de ridiculiser les racistes évoqués plus haut, mais aussi parce que nous prenons ainsi beaucoup de hauteur et de distance avec le poids de cet héritage. C’est cette hauteur qui rend agréables tous les rappels à la mythologie du personnage et instaure donc de la complicité avec celleux connaissant les aventures d’Arsène Lupin. La complicité avec le public est d’ailleurs la marque de réussite du personnage principal, non seulement parce que Omar Sy crève l’écran à coup de missile avec ce qui restera sans doute l’un de ses meilleurs rôles, mais aussi grâce à l’ingénieuse utilisation du rythme des films de casse et de prestidigitation. Et cela semble plutôt logique puisque Louis Leterrier, réalisateur des trois premiers épisodes, est également celui qui nous a pondu le bancale mais satisfaisant Now You See Me. Et ici nous sommes les seuls à connaître les trucs et astuces employés par Assane pour berner son monde. Non seulement les solutions aux énigmes sont très bien pensées, ni trop simples, ni trop capillotractées, mais elles s’inscrivent aussi dans un rythme parfaitement maîtrisé, du moins dans les trois premiers épisodes. Les affres du bindgewatching ont été très fortes avec cette série, je ne vais pas vous mentir. Même les phases de flashback et de flashforward sont étonnamment bien pensées, alors que ce procédé narratif a tendance à vite me lasser. Tout comme la flicaille tente de reconstituer le puzzle que représente le voleur, nous sommes amenés à faire de même avec le personnage principal. Et c’est ainsi que l’étendue dramatique d’Assane nous est présentée à petites doses venant compléter un portrait déjà empli de charisme. À n’en pas douter, Lupin montre très vite sa réussite dans le champs du divertissement. Mais il n’est pas que ça. 

Faire du spectacle ingénieusement ficelé c’est bien, mais encore faut-il avoir un propos pouvant capter mon attention d’islamo-bobo-gauchiste brise-bourses. Et c’est là qu’intervient Netflix. En effet, une diffusion télé classique aurait-elle été possible pour une série avec un personnage principal noir, combattant l’injustice sociale menée par une riche famille assimilable à des Bolloré, Bouygues, Lagardère, Dassault et autre Arnault, le tout en utilisant à son compte les ficelles du racisme systémique ? Si vous soumettez ce genre de scénario à une chaîne TV, ils vous proposeront sans doute de réaliser plutôt un épisode de Camping.
Lupin tacle absolument toutes les strates de la domination bourgeoise et ses alliés : du commissaire pourri à la vieille fortunée nostalgique de la colonisation, en passant évidemment par les puissants bourgeois soumettant flics et médias à leurs volontés. La série tisse ingénieusement la toile de la domination de classes raciste qui a écrasé le père d’Assane en l’accusant d’un délit qu’il n’a pas commis et le conduisant à sa mort. Avant d’être une série de cambriolages, il s’agit avant tout d’une série sur la vengeance envers l’injustice sociale. Mais le focus n’est pas mis seulement sur un antagoniste qui serait vu comme la seule pomme pourrie du verger luxuriant que serait la France, mais bien comme le rouage d’un système entier au sein duquel les agents se serrent les coudes.
Assane utilise donc le racisme de ce milieu à son avantage : si Lupin était un maître du déguisement et que notre héros l’est aussi en grande partie, il va surtout profiter de son invisibilité en tant qu’homme noir pour circuler à sa guise au sein de ce milieu. Ces riches blancs sont bien infoutus de distinguer une personne racisée d’une autre ou de se dire qu’il y a peut-être un bug dans la matrice lorsque qu’un homme noir abonde dans votre sens lorsque vous glorifiez le vol des ressources du Congo et, bien évidemment, un homme noir en tenue d’agent d’entretien ne sera pas perçu de la même manière que dans le cas où il porterait un costar. Il ne faut pas oublier que Lupin, tout comme son créateur Maurice Leblanc, a été un héros anarchiste, du moins dans les premières années de sa vie littéraire. Et il est heureux de voir que cette série n’a pas mis de côté cet aspect essentiel du personnage tout en le transposant dans le contexte de la France des années 90 et d’aujourd’hui. 

Si Lupin se débrouille plutôt bien sur les questions de racisme systémique, il se plante plutôt lamentablement lorsqu’il s’agit des personnages féminins. Mis à part une certaine alliée du protagoniste que l’on ne découvre que tardivement et sur laquelle je ne m’attarderai pas afin de ne rien dévoiler à cette partie de l’intrigue, nous ne voyons aucun autre personnage féminin correctement développé. Leur problème majeur est qu’elles n’ont pas vraiment leur propre capacité d’agir : elles ne sont définies que par leurs relations à Assane ou par leur manière de servir ou non ses intérêts ou ceux des antagonistes. Il y a bien Claire, la conjointe d’Assane (Ou ex-conjointe ? J’avoue ne pas avoir très bien saisi le statut officiel de leur relation.), qui bénéficie d’un peu de développement lors des flashbacks mais cela arrive avec son lot de références féministes plutôt mal amenées et bancales, car écrites par des hommes.
Dans le champ des défauts, il faut également citer le gros problème de direction d’acteurices des personnages secondaires : autant Omar Sy est excellent, autant cette même excellence n’a pas du tout été portée sur le reste du casting, ce qui n’est pas franchement aidé par des dialogues parfois très mal pensés. Et lorsque vous avez un acteur qui n’articule pas, tandis que le mixage son est aux fraises, l’expérience devient très vite désagréable. Mais ces derniers points défaillants sont, heureusement, peu de chose par rapport à tout ce que la série réussit. 

Récemment, je me faisais la réflexion que la production ciné et TV française n’avait pas vraiment exploré le champ de la réinterprétation de ses héros populaires d'antan. Autant l’Angleterre se débrouille très bien avec Sherlock Holmes, James Bond, Doctor Who, et même Paddington, autant en France c’est le calme plat. Alors que nous avons de nombreuses figures culturelles à retravailler : Judex, Fantomas, Fantomette, Fulguros… Même les œuvres de Jules Verne semblent hors de portée d’une quelconque volonté de production à gros budget. Alors peut-être que Lupin pourrait être un début de cette ré-exploration de la culture populaire française, histoire de sortir un peu des sentiers sur-exploités des Astérix et autres Tintin.
Toujours est-il que Lupin est un bon coup de pied dans la fourmilière, et il me tarde de voir la suite des aventures d’Assane face à la bourgeoisie française. 

 

 

 

Pemf
Article corrigé par Mahikan

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