Vous connaissez sans doute la chanson, s’apparentant à un christmas carols que l’on écouterait en se délectant de bredele tout juste sortis du four : cette année touche à sa fin et il est temps d’établir un classement, aussi superficiel soit-il, des films qui ont débarqué dans nos salles (ou nos ordinateurs, on n’oublie pas la SVOD) ces douze derniers mois.
Seulement, problème : comme le disent les philosophes au rabais peuplant YouTube, “je sais pas si vous avez remarqué” mais cette année 2020 a été aussi chaotique que le tournage d’un film de Werner Herzog. Avec la flopée de films annulés, les salles fermées, et la nécessaire prudence que j’ai dû adopter, même lorsque ces dernières étaient brièvement rouvertes, les sélections de cette année se démarquent particulièrement de celles que j’ai pu proposer depuis 2014.
Toujours est-il que je vous propose encore cette année une petite sélection des films qui m’ont marqué en 2020, avec la remise de mes bon vieux Alpaga Awards. Comme chaque année, il s’agira d'œuvres sorties en France ces douze derniers mois.
Alpaga Award du meilleur film de super-héros
Cette catégorie a failli ne pas apparaître dans la sélection puisque cette année, nous avons New Mutants qui est ratage complet, et Wonder Woman 1984 n’est pas encore sorti à l’heure où j’écris ces lignes (et les premiers retours ne présagent rien de bon…). Mais je tenais tout de même à relever les deux films qui suivent, notamment pour la fraîcheur qu’ils apportent au genre.
Alpaga d’argent : The Old Guard
Comme souvent avec le genre, il y a débat au sujet de savoir si ce film précis est à étiqueter comme “film de super-héros”. L’auteur du comics ne le souhaite pas, la campagne marketing est allée dans le sens contraire, et les spécialistes du sujet s’écharpent sur la question. Mon point sera simple : nous avons déjà eu si peu de films de super-héros cette année, je ne vais pas en plus faire la fine bouche. D’autant plus que The Old Guard coche nombre de prérequis du genre : après tout, nous suivons un groupe d’individus aux capacités surnaturelles (l’immortalité), faisant tout pour garder leur identité secrète, dont certains membres ont un pseudonyme quasi légendaire, et dont l’objectif final est de mettre à profit leurs pouvoirs pour apporter la justice et la paix en ce monde. Fin du débat, pour le moment.
Malgré certaines scènes bien pensées et des personnages ultra attachants, The Old Guard m’est resté en tête comme un film majoritairement mou, paresseux, n’allant jamais très loin dans sa réalisation, alors que sa BD d’origine est simplement superbe. Alors pourquoi sa place dans ce classement ? Tout simplement parce qu’il reste un film agréable et surtout qu’il y a matière à proposer une licence passionnante. Lorsqu’on nous propose Charlize Theron éclater des occiputs à coups de hache, tout en ayant l’équivalent du PIB de l’Espagne en cartouches de balles dans le bide, c’est compliqué de faire le difficile.
Alpaga d’or : Birds of Prey
Margot Robbie est partie en mission : faire oublier l’accident nucléaire qu’est Suicide Squad et redorrer le blason de Harley Queen. C’est chose faite avec l’un des films les plus plaisants du DCEU. Je dirais même que, jusqu’à présent, Birds of Prey est, politiquement, le film le moins équivoque de cet univers. Il est question de femmes se réappropriant leurs vies et destinées des mains des hommes (que ce soit dans le fond comme dans la production du film) en unissant leurs forces pour sauver une autre femme : c’est la première fois qu’un film de super-héros aborde le thème de la sororité et il le fait bien. D’autant plus qu’il n’est pas non plus question de s’engager à corps perdu dans une bataille militante de manière artificielle puisque Harley Queen n’a pas le rôle de phare moral qui incomberait plutôt à Wonder Woman au sein de cet univers. Non, Birds of Prey parvient à échapper au côté moraliste des blockbusters classiques pour proposer un groupe d’héroïne, dont certaines n’ont rien de très moral mais dont les actions ne sont pour autant jamais excusées ou condamnées. Et dans un genre tendant souvent vers le manichéisme ou le statu quo, c’est un sacré bol d’air frais !
Alpaga Award du meilleur film d’animation
Alpaga de bronze : Lupin III : The First
Dans la famille des films que je n’avais pas du tout prévu de voir et dont la découverte fut très agréable, je demande le dernier film de la saga créée par Monkey Punch. Si l’ensemble de la narration reste globalement très prévisible, je retiens avant tout l’animation bluffante permettant des scènes délicieusement renversantes, sans compter la maîtrise parfaite du registre aventurier. Le tout peut être résumé par la première pensée qui m’est venue une fois le film achevé : “C’est donc ça un excellent Indiana Jones 4 !”
Alpaga d’argent : Onward
Mon avis posé dans ma critique publiée en mars dernier n’a pas changé : Onward est un des Pixar les plus rafraîchissants et bouleversants. Et cela rend son plantage au box office, résultat de la crise sanitaire mais aussi d’une campagne marketing ratée, encore plus douloureux.
Alpaga d’or : Soul
Rarement un Pixar m'aura autant plongé dans un questionnement existentiel profond, dur, mais nécessaire. Il faut dire que l'année que l'on a connue a été plutôt prompte à s'interroger sur ce que l'on a fait de notre vie jusque-là, sur la place que prend cette obligation étouffante d'avoir un emploi stable et rémunérateur mais pourtant morne, et ce qu'on a fait de nos passions, notre flamme. Soul joue sur tout cela, sur l'importance des choses "banales" du quotidien, sur notre quête effrénée de sens, de voie. Il parlera sans doute d'une manière percutante à celleux qui tiennent par-dessous tout à vivre de leur passion, à accomplir leurs rêves. Mais également à celleux qui ont perdu la flamme, qui sont prisonnier'es de l'ouragan de la dépression, du burn-out, notamment avec une scène qui, personnellement, me hantera pendant longtemps.
Il est également amusant de voir que le studio arrive encore à nous éblouir dans sa maîtrise graphique, en allant toujours plus loin dans ses techniques d'animation. Il en est de même pour l'ingéniosité de sa bande-son, alternant entre la partition jazz de Jon Batiste, et les sons aérien, éthérés, d'Atticus Ross et Trent Reznor.
Avec Soul, Pixar propose l'un de ses films les plus matures, tout aussi simple que complexe. Un film dont la beauté graphique n'a d'égale que sa profondeur bouleversante.
Alpaga Award du meilleur documentaire
Alpaga de bronze : Petite Fille
2020 aura été, côté documentaires, l’année de Sébastien Lifshitz avec la sortie d’Adolescentes et de Petite Fille. J’en ai déjà parlé dans mon article sur Les Invisibles : Lifshitz est un documentariste de l’identité. Après s’être demandé ce que c’était qu’être une adolescente aujourd’hui en France (Adolescentes, on en parle après), qu’être gay ou lesbienne né’es dans l’entre-deux-guerres (Les Invisibles), qu’être une star trans de cabaret (Bambi), cette fois il pose sa caméra devant Sasha, une jeune fille trans.
Mon rôle n’est pas d’estimer la pertinence du film vis à vis de son sujet, c’est celui des personnes concernées (et il semblerait que les avis soient divisés). Mon appréciation se fait en tant que critique ciné particulièrement intéressé par le travail de Lifshitz. Et de ce point de vue, nous sommes face à l’un de ses meilleurs documentaires. La recette reste la même : rythme lent, invitation au sein du quotidien des sujets, pauses contemplatives, utilisation organique du son, etc. Petite Fille est d’une douceur incomparable et il est difficile de ne pas être bouleversé par ce que l’on voit.
Alpaga d'argent : Adolescentes
Vous reprendrez bien un peu de Lifshitz ? Cette fois-ci le concept est impressionnant : suivre deux adolescentes, Emma (famille aisée, père absent, mère insupportable) et Anaïs (famille prolo, père paumé et mère déprimée), pendant 5 ans. C’est donc comme toujours un portrait intime que dresse Lifshitz, celui de ces deux ados qui ne se laissent pas faire, tout comme celui, plus large, de la société française de ces cinq dernières années. Et même si l’on parcourt cinq ans en deux heures, que l’on assiste à ce conflit perpétuel qu’est l’adolescence ainsi que les événements dramatiques et ahurissants de l’actualité, la caméra de Lifshitz arrive à rendre le tout quasiment reposant.
Avec ce film, le documentariste des identités signe l’un de ses films les plus passionnants, humains et touchants.
Alpaga d’or : La Cravate
Même si j'éprouve bien moins de sympathie pour son sujet que les deux documentaires précédents, La Cravate reste le documentaire le plus percutant de cette année. Plusieurs mois après son visionnage, je maintiens ce que j’ai écrit dans sa critique, en plus d’être un excellent documentaire au processus narratif inventif, il s’agit également d’un drame bouleversant : celui d’un jeune que les failles de notre système social ont jeté dans les bras de l’extrême droite.
Alpaga Award de la meilleure réalisatrice :
Maïmouna Doucouré, pour Mignonnes
Il faut au moins être la meilleure réalisatrice de l’année pour supporter la polémique culturelle la plus crétine de l’année. Pour rappel, l’équipe marketing de Netflix a cru bon de diffuser une affiche différente de la version française, affiche américaine dans laquelle nous pouvons voir les jeunes héroïnes dans des poses suggestives, le tout complété par la bande-annonce dans laquelle nous pouvons également voir des scènes qui peuvent légitimement interpeller quant à son utilisation d’une imagerie sexualisant les enfants. Ni une, ni deux, Twitter est resté dans sa fastidieuse habitude d’affirmer plutôt qu’interroger, et le film fut donc taxé de pédophile par celleux qui ne l’avaient pas vu. Je n’ose imaginer le coup au moral pour la réalisatrice, Maïmouna Doucouré, dont la démarche de dénonciation de l’hypersexualisation de jeunes filles était pourtant claire si tant est que l’on se fende d’une petite recherche pendant 2 minutes.
Mignonnes est un très beau film qui a très bien su capter la détresse émotionnelle dans laquelle nous plaçons les enfants à coup d’injonctions patriarcales. Il rappelle que la seule chose que l’on doit attendre des jeunes filles est qu’elles mènent leurs vies d’enfant.
Ce n’est peut-être pas le film de l’année côté réalisation, même s’il se défend très bien. En revanche, en ajoutant dans l’équation le scandale infondé qu’a subi Maïmouna Doucouré, celle-ci mérite tout notre soutien et bien plus de considération.
Hel a écrit une excellente critique du film, dans laquelle je me retrouve parfaitement, je vous invite donc à la lire de ce pas.
Alpaga Award du film le plus doux :
Dans un jardin qu’on dirait éternel
Certains films nécessitent que l’on aille en salle dans l’unique optique de faire une pause sensorielle. Nichinichi kore kojitsu (en anglais “Every Day a Good Day”, traduction bien plus littérale que ce jardin éternel dont on ne sait pas trop ce qu’il vient faire ici…) est de ceux-là. Il est une invitation à se poser, à oublier ses tracas du quotidien, à ouvrir ses sens et à ne surtout pas chercher le sens à tout pour seulement ressentir l’instant, comme doit le faire Noriko. Avec son rythme contemplatif, sa photographie magnifique et son mixage audio d’une précision chirurgicale, vous ne pouvez ressortir de ce film que reposé. (Si tant est que ce soit votre style d’expérience artistique évidemment.)
Je me dois de glisser un dernier mot pour Kiki Kirin, qui nous a quittés peu de temps avant la sortie japonaise du film en 2018. Chapeau, l’artiste, et merci pour cette belle carrière dans de si beaux films.
Alpaga Award du rouleau compresseur émotionnel :
Jojo Rabbit
Premier film que j’ai pu voir cette année, Jojo Rabbit est resté ancré depuis dans mon esprit comme un conte à la fois magnifique, drôle et bouleversant, se démarquant par son intérêt pédagogique. C’est sans doute sa charge douce-amer qui en fait un film dont le souvenir me hante encore aujourd’hui et il manque peu à ce film pour qu’il se place dans le top 3 de l’année. Peut-être était-il un peu trop téléphoné par moments, toujours est-il que Taika Waititi a signé l’un de ses films les plus personnels et uniques.
Alpaga Award de la daube qui n’aurait pas dû être possible :
Artemis Fowl
Nous avons tous’tes des œuvres dont on craint l’adaptation car on ne supporterait pas une quelconque déception. Pour ma part ce fût Artemis Fowl, l’une des rares saga littéraires que j’ai réussi à lire lorsque j’étais gosse et dont j’attendais pourtant une incursion en film car je me disais qu’un ratage relèverait de l’exploit. C’était sans compter sur Kenneth Branagh.
Réussir à ne même pas faire d’Artemis le petit salopard qu’il est dans le premier livre équivaut effectivement de l’incompétence, tout comme le fait ne pas réussir à rendre l’univers du film attractif et agréable à l'œil.
Nous pouvons donc remettre, pour dix ans supplémentaires, la saga littéraire dans le carton des adaptations à confier à des gens compétents.
Alpaga Award du meilleur film de 2020 :
Alpaga de bronze : Tenet
À partir du moment où ce bon vieux Christopher a décidé de faire péter un avion en le balançant dans un hangar, il y avait forcément de grandes chances pour que son dernier film se retrouve très haut dans mon classement.
Plus sérieusement, bien que Tenet n’ai pas réussi à détrôner mes petits chouchous de la filmo de Nolan (Dunkerque, Interstellar et Inception), le plaisir de retrouver ce qui me conquiert toujours chez le réalisateur reste inégalable. Le problème avec Nolan est qu’il est arrivé à un stade où beaucoup désirent se montrer plus malin, cherchent à tout prix à tout comprendre dès le début du film, à anticiper le moindre de ses retournements scénaristiques. Et si d’aventure quelqu’un aurait anticipé un point de scénario (ce qui n’est jamais insurmontable entendons-nous bien) alors ça y est, ce serait la fin de la carrière du réalisateur. Pour ma part, je suis allé voir le film en suivant un précepte énoncé très vite dans le film par Clémence Poésy : ne pas chercher à comprendre mais plutôt ressentir ce qu’il se passe à l’écran. La quête de compréhension et de recollage de tous les morceaux viennent donc une fois la séance conclue, permettant de profiter plus longuement du film. Dans cette optique là, ce fût, comme toujours avec le bon Christopher, une expérience unique.
Alpaga d’argent : The Trial of the Chicago 7
Le genre judiciaire sied définitivement bien au maître des mots Aaron Sorkin. Relatant le fameux procès ayant suivi les manifestations lors de la convention démocrate de 68, Chicago 7 est tombé au bon moment : dans un contexte d’affrontement électoral où les contrevérités sont devenues la norme d’un camp et où Black Lives Matter est dans toutes les têtes. Sorkin nous met face à des questions essentielles et maintes fois soulevées ces derniers temps, portant notamment sur le difficile choix entre non-violence et opposition directe à la police, mais aussi sur les armes sociales inégalement réparties au sein même des mouvements militants. Ces derniers sont justement parfaitement représentés dans leur diversité : de celleux faisant le choix de la non-violence à celleux qui ont compris que le contraire était inévitable, en passant par les célébrités médiatiques.
Chicago 7 est le film politique coup de poing de l’année.
Alpaga d’or : Mank
Cela fait depuis 1990 que David Fincher désire mettre en scène le scénario de son défunt père s’intéressant à Herman J. Mankiewicz lors de sa difficile écriture d’un film légèrement connu : Citizen Kane. Il a donc fallu attendre trente ans pour qu’une plateforme accepte de prendre soin de ce film de niche à la charge anti-Trump plutôt évidente. Tout n’est qu’une question de temps : celui dont manquait Mank, celui trop long pendant lequel Fincher a dû patienter, et celui d’un contexte politique et culturel favorable à une diffusion. Et comment ne pas être subjugué par tout l’aspect technique de Mank, par la restitution minutieuse de l’atmosphère des années 30, à coup de massacre sans vergogne de l’image captée par la Red Ranger, par le travail incroyable sur le son, etc.
S’il est le film le plus incroyable de l’année, il est aussi le plus exigeant : jamais nous ne serons pris par la main pour capter qui est à l’écran à un instant T. Mais je trouve ça justement plutôt amusant de voir un film si peu user friendly apparaître sur Netflix, la plateforme souvent considérée comme “anti-cinéphile”. (Attention, il ne s’agit pas pour autant d’un film “prout prout seul moi peut le comprendre parce que je suis un vrai cinéphile qui a vu vingt fois Le Parrain la semaine dernière”.)
Déclaration d’amour au ciné, à celleux qui y écrivent, aux chercheur’euses de vérité, à celleux qui pourfendent les manipulateurs, Mank est avant tout une introspection passionnantes d’un réalisateur passionnant, son film le plus personnel et le plus percutant de cette année.
Ainsi s’achève cette sélection de l’année la plus ahurissante qu’il m’ait été donné d’analyser.
Je ne peux m’empêcher de conclure en adressant mes pensées aux artisans du 7e arts, qu’ils soient derrière, devant la caméra, derrière le projecteur ou la caisse de la salle de ciné. Il a été décidé que l’art et la culture n’étaient pas essentiels en cette période morose, que le rêve, la réflexion, l’éducation et la politisation n’avaient plus leur place, contrairement au travail, à l’économie et à la consommation. Forcément, sur ce site, cela ne peut que, au minimum, nous attrister. Si pour le moment nous ne pouvons qu’espérer la prompt réouverture de lieux culturels (uniquement si cela ne représente pas un danger sanitaire, évidemment, j’aime le ciné mais j’aime bien aussi le fait de rester en vie), il s’agira à un moment donné de revenir sur cette période où il a été décidé que la culture n’était pas importante. Et peut-être alors nous ré-intégrerons enfin que l’art n’est pas une variable d’ajustement et que nous en avons désespérément besoin, peut-être même encore plus en ces temps troubles.
Prenez soin de vous et de vos proches, et continuons à nous cultiver par tous les moyens dont nous disposons encore. À très vite pour, je l’espère, une année moins morose et plus culturelle.
Pemf
Article corrigé par Mahikan
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