Heros Politicus #2 : Le MCU face au Colonialisme – Partie 2 : Thor: Ragnarok

Bonjour et bienvenue dans la deuxième partie de ce Heros Politicus consacré au MCU face au colonialisme.
Dans cette deuxième partie, nous allons nous intéresser à un film un peu particulier. En effet, Thor: Ragnarok est le fruit d’un réalisateur d’origine maori (Taika Waititi) souhaitant créer une comédie super-héroïque parlant des ravages de l’invisibilisation de l’Histoire coloniale.
Pour rappel, il s’agit ici d’une étude divisée en trois articles, vous pouvez retrouver les liens vers les deux autres à la fin de celle-ci.
Une des réussites de Waititi a été de faire une suite disant beaucoup de choses, après deux films qui en faisaient fort peu. C’est pourquoi il serait de bon ton de revenir sur les deux premiers opus boiteux des aventures du dieu du tonnerre, avant de commencer à décortiquer notre principal sujet.

Thor : surtout ne rien dire.

D’un côté se trouve Thor premier du nom, quatrième film d’un MCU encore naissant partant déjà à la conquête de son univers cosmique, un film fonctionnant presque correctement sur bien des aspects mais qui a raté son implication émotionnelle avec un héros aucunement défini et des questions recevant les mauvaises réponses.
Puis d’un autre côté il y a Thor: The Dark World… Vous savez quoi ? Restons encore un peu sur le premier Thor. De cette manière nous ne tirerons pas sur une ambulance dont il ne reste que les roues.
Le gros problème idéologique de cette franchise jusqu’à l’apparition de son troisième opus est qu’elle présente un royaume belliciste, Asgard, sans que l’on sache pourquoi Odin a mené tant de conquêtes ni que l’on connaisse la situation et le ressenti du côté des vaincus. De même, jamais le protagoniste ne remettra en question les possessions territoriales de son père malgré un parcours qui était censé lui apprendre les ravages du bellicisme. Comme souvent dans le MCU : Thor maintient le statu quo. L’un des exemples les plus marquant de ce manque de cohérence thématique est le bannissement du héros et sa résolution. Le prince d’Asgard est envoyé sur Terre car il a déclenché un conflit par simple volonté de domination sur un peuple déjà brisé. Ceci fait d’ailleurs suite à une manipulation, chose assez intéressante pour un film post 11 septembre. Thor, en bon fils d’un roi belliqueux, suit une tradition conquérante et semble d’ailleurs hériter d’attributs recoupant avec une sorte de virilité fragile et toxique (comme souvent avec la virilité). Après tout, il devient impuissant sans son gros marteau et prend vite la mouche lorsqu’un Géant de Glace le qualifie de princesse. Son parcours aurait donc été logiquement celui d’un homme devant remettre en question son héritage guerrier et de domination ainsi que son angoisse masculine issue d’un Asgard patriarcal (il n’y a qu’une seule femme guerrière dans ce foutu royaume, chose qui sera progressivement corrigée par la suite). Tout semblait plutôt bien parti grâce à sa rencontre avec Jane Foster qui va changer le protagoniste par sa gentillesse et sa quête du progrès par la compréhension de l’univers et d’autrui, au lieu de la résolution de toute situation avec un gros coup de marteau.
Sauf que le film s’est perdu en chemin : Thor récupère ses pouvoirs par son sacrifice. Le problème est que jamais son héroïsme n’avait été remis en cause. La mort sur le champ de bataille est un idéal dans un monde d’inspiration viking comme Asgard. Ce sacrifice est une réponse apportée à une question qui n’existe pas. L’arc de Thor consiste à se séparer de cet esprit belliciste inconsidéré et éventuellement de remettre en question le système guerrier qu’il servait. Mais puisque le film ne cherche pas à expliquer les raisons des conquêtes d’Odin et ses implications, Thor ne peut résoudre son propre problème. D’autant plus que, de retour sur Asgard, il sauve Jotunheim du Bifrost mais rien dans son parcours ne l’a mené au fait de sauver une nation ennemie d’Asgard. En outre, il règle la situation à nouveau par la force, n'exploitant jamais le caractère “bâtisseur” de son marteau, chose pourtant évoquée par son père.
Thor était donc un début qui aurait pu être prometteur pour cette franchise mais il s’est égaré dans l’accomplissement de son personnage, semblant avoir oublié son point de départ et ne souhaitant pas aborder le fondement politique de son univers. Quant à Thor: The Dark World, il serait vain de s’arrêter aussi longuement sur son cas puisque ce qui est sans doute le plus gros échec qualitatif du MCU ne dit absolument rien. C’est un néant thématique absolu à cause d’un méchant vide de tout objectif clair, de liens narratifs reposant sur du hasard et d’un échec total pour ce qui est de l’évolution de son protagoniste qui fait du sur-place pendant 1h50. Évidemment avec si peu de tissu narratif, les dessous de l’organisation politique d’Asgard et de son histoire de domination ne pouvaient être explorés.
Maintenant que ce “bref” mais néanmoins nécessaire rappel est fait, nous pouvons passer à notre sujet principal.

Cacher son Histoire coloniale sous le tapis.

Le coup de force de Taika Waititi a été de prendre cet univers qui, au premier abord, ne convient pas vraiment comme base pour parler de l’histoire coloniale (d’autant plus quand on sait que la mythologie nordique sert parfois de référence aux suprémacistes blancs) pour en faire une comédie super-héroïque sur l’identité post-coloniale. La volonté du réalisateur est en effet de montrer quels sont les dangers d’une politique cherchant à tout prix à balayer sous le tapis un passé de domination, même des décennies après.
Lorsque Odin meurt, Thor doit faire face au poids d’un passé qu’il ignorait jusqu’alors. Le dieu du tonnerre savait que son père avait été un conquérant inlassable et que Asgard avait eu bien du mal à maintenir la paix dans les 9 Royaumes mais il ne s’était jamais demandé d’où venait cette domination sur les autres planètes, sur quoi elle reposait, ni même comment les peuples dominés vivaient la situation. Lors de ses conquêtes, le Père de Toutes Choses pouvait compter sur la puissance de son aînée, Hela. Lorsque l'appétit pour la destruction de sa fille semblait finalement inarrêtable, au lieu de réparer durablement ses crimes et rendre leur autonomie aux conquis, Odin a décidé de la faire tout simplement disparaître de la réalité et de cacher la violence de la construction de son royaume. Ainsi les peintures le montrant victorieux aux côtés de Hela ont été recouvertes par d’autres dépeignant un monde prospère vivant en harmonie sous le regard bienveillant du roi. Le retour de Hela est celui d’un passé colonial jamais confronté. Tirant son pouvoir d’Asgard, les effets de l’oppression ne disparaîtront pas tant que Asgard (le système) perdurera. Thor, dont la mission était jusque-là de maintenir l’ordre dans les 9 Royaumes et donc le statu quo, est mis face aux causes de ce déséquilibre qu’il doit affronter et doit accepter le renversement de ce statu quo, soit la destruction d’Asgard par le Ragnarok. Très vite son objectif est de sauver non pas son royaume mais son peuple, sous-entendu : la nouvelle génération n’a pas à subir les erreurs d’un passé qu’elle n’a pas connu mais elle doit en revanche l’affronter et accepter que le système soit entièrement renversé afin que les torts soient réparés et que la domination prenne fin.
Dans un film capable de vannes d’une profondeur incroyable comme l’Anus de Satan et la tête déconfite de Thor face au membre gargantuesque de Hulk, il est encore plus agréable de voir une allégorie parfaitement distillée et aussi fine sur l’Histoire coloniale de l’occident et les effets catastrophiques de sa minimisation.
En revanche, un problème apparaît : tout ceci est fait rétrospectivement, après deux films pendant lesquels des questions se sont posées concernant la construction d’Asgard mais sont restées sans réponses. Marvel Studio est assez habitué à la chose et c’est l’un de ses gros points faibles narratifs. Ce manque d’informations a donné lieu à des films fort peu solides mais on peut tout de même se satisfaire que l’on finisse par en savoir plus, même plusieurs années après.
À cette toile de fond lourdement politique, s’ajoute la patte personnelle de Taika Waititi qui a pu retranscrire son propre vécu en tant que Maori engagé politiquement.

L’empreinte Waititi.

Taika Waititi est le fils d’un Maori et d’une Russe Juive. Très engagé politiquement, son travail est souvent inspiré par les théories postcoloniales modernes. Et surtout, il ne cache pas ses opinions, conduisant même la première ministre Néo-Zélandaise à réagir publiquement lorsque le cinéaste avait expliqué dans une interview à Dazed & Confused que son pays est “p***** de raciste” en ce qui concerne les populations maories. Cet attachement à son héritage et à la médiatisation de la cause Maorie se retrouve dans Thor: Ragnarok et a notamment construit le personnage de Valkyrie.
Pour rappel, lorsque Thor débarque sur la planète poubelle Sakaar, il est récupéré par “Scrapper 142” qui le livre au Grand Master. La guerrière légèrement alcoolique est en réalité une ancienne membre de la glorieuse unité des Valkyrie, la garde personnelle d’Odin. Mais, suite au massacre des combattantes par Hela, “Scrapper”, seule survivante, a dû se résigner à l’exil.
Notons en premier lieu le choix de casting pour incarner la guerrière : sélectionner Tessa Thompson, une actrice d’origine afro-panaméenne, pour jouer un personnage habituellement blanche et blonde est dans la suite logique de ce qu’a voulu faire le cinéaste avec Valkyrie.
Nous pouvons retrouver dans ce personnage nombre de référence d’une part au peuple maori, et d’autre part à toutes les populations forcées d’immigrer. Outre son matricule “Scrapper 142”, la Valkyrie n’a pas de nom, on la qualifie uniquement par un rattachement à son peuple d’origine. Cette perte d’identité, cet essentialisme pour ainsi dire puisqu’on ne cesse de la nommer par ses origines a créé chez elle une sorte d’état de dépression l’ayant même entraînée dans l’alcoolisme, à l’instar de certaines communauté déplacées ou ayant perdu leurs terres, qu’elles soient Maories ou Premières Nations. Sa souffrance est aussi due à l’invisibilisation par Odin du massacre de son peuple, le souverain ayant, rappelons-le, cherché à effacer son propre passé colonial.
Les rapprochements avec la culture maorie sont encore plus évidents dans certains cas. Relevons par exemple les tatouages que porte Valkyrie, que l’on pourrait voir comme des Tā moko maoris, des tatouages traditionnels. Mais il y a une scène qui confirme définitivement la guerrière au poste de porte-étendard du peuple maori : cette fameuse scène d’arrivée sur le pont arc-en-ciel. Valkyrie sort de son vaisseau fraîchement écrasé, s’avance lentement vers ses ennemis tandis que des feux d’artifice s’élèvent en arrière-plan, le tout sur Immigrant Song, bien évidemment. Or, il se trouve que le fameux vaisseau est rouge, noir et jaune, soit les couleurs du drapeau aborigène australien, symbole du combat de ce peuple pour leurs droits territoriaux. Juste avant cette scène on découvrait qu’elle avait revêtu le costume traditionnel des Valkyrie, à l’occasion de son retour sur Asgard, pour défendre son peuple : elle a fini par embrasser à nouveau sa mission ancestrale pour mettre fin à la souffrance engendrée par celle qui symbolise la domination coloniale.
Sans aucun doute, Valkyrie est un des personnages secondaire du MCU écrit avec le plus de finesse possible, portant en elle les aspirations d’un réalisateur engagé et fier de son héritage.

Outre le fait que Thor: Ragnarok est un spectacle savoureux et savamment délirant, l’ensemble de sa toile de fond traduisant l’engagement de Taika Waititi au sujet de l’Histoire coloniale a été tissé avec une finesse que l’on retrouve rarement dans ce genre de production.
Dans Captain America: The Winter Soldier un premier pas politique avait été fait par Marvel Studios. Pour rappel, ce film dénonçait la surveillance de masse suite à l’affaire Snowden mais le résultat final pouvait laisser à désirer d’un point de vue idéologique puisque les institutions gouvernementales et le système étaient laissés indemnes, le problème venant en effet d’une organisation fictive dont la vilenie ne faisait aucun doute. Ici, Waititi va bien plus loin en donnant la solution au problème du traumatisme colonial : la destruction du système qui l’a engendré, à savoir Asgard, un lieu que l’on assimilait jusqu’à présent entièrement au camp du bien.
Thor: Ragnarok est sans aucun doute le premier film Marvel à remettre en cause et à modifier le statu quo politique en place. Après neuf ans d'existence de cet univers cinématographique, il était temps !

Ceci marque la fin de cette deuxième partie, il ne me reste plus qu’à vous dire à bientôt pour la partie finale de ce Heros Politicus, consacrée cette fois-ci à Black Panther.
Et surtout, cultivez-vous !

Ipemf

Partie 1 : Guardians of the Galaxy Vol. 2
Partie 3 : Black Panther (à paraître)

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