[Comics] The Dark Knight Returns par Frank Miller

Avertissement : l'article, comme l’œuvre traitée, évoque des sujets difficile comme la mort.

Bonjour à toutes et à tous, lors de mon dernier article, j'avais eu l'occasion de vous parler du travail de Frank Miller sur la série Daredevil. En gros, son run marque pour l'industrie des comics le début d'une période connue sous le nom de Modern Age. Une période beaucoup plus sombre et sérieuse que ce qui se faisait avant. Pourtant Miller n'en est pas resté là et après avoir réinventé le diable de Hell's Kitchen, il s'est attaqué au porte-étendard de DC Comics : Batman.

The Dark Knight Returns, publié en 1986, est ce que l'on appelle un Graphic Novel ou roman graphique en français. C'est à dire qu'il s'agit d'une bande dessinée publiée pour la première fois non pas dans les comics shops mais dans les librairies traditionnelles dans un format cartonné beaucoup plus noble et surtout beaucoup plus respectable. En effet, c'est l'un des buts visés par cette histoire : rendre le personnage à nouveau accessible à un public (certains diront un marché) qui a grandi et s'est lassé des histoires plus ou moins loufoques de leur enfance. Pour se faire, DC a fait appelle à Frank Miller qui avait déjà fait ses preuves sur Daredevil en 1981 mais aussi en écrivant et en dessinant un autre Graphic Novel : Ronin (1983-1984). À ses côtés on retrouve deux de ses collaborateurs habituels : Klaus Janson qui avait déjà encré Daredevil ainsi que Lynn Varley qui s'était occupée des couleurs de Ronin.

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Je tiens à m'excuser, je n'ai pas trouvé autre chose que de la V.O. pour illustrer cet article. Vous pouvez cliquer sur l'image pour l'agrandir.

Le récit commence suite à une ellipse d'une quinzaine d'année qui nous sépare de l'univers DC tel qu'il était dans les années 80. Tous les super-héros, dont Batman, ont cessé leurs activités de vigilants pour des raisons plus ou moins personnelles Pourtant cette absence est lourde à porter pour Bruce Wayne qui profite de sa retraite en buvant plus que de raison et en trouvant toutes les manières possibles de mettre sa vie en danger, mais aussi pour Gotham City qui est plus décadente que jamais. Elle connaît une vague de criminalité sans précédent qui est incarnée par le groupe des Mutants, un rassemblement de jeunes dont les méthodes, les moyens et les motivations dépassent tout ce à quoi la ville et ses citoyens sont habitués. C'est la libération et la récidive d'un des anciens adversaires de Batman qui va le pousser un soir à renfiler son costume et à revenir.

Je pense personnellement que ce Dark Knight Returns représente ce que Miller a produit de mieux dans sa carrière, grâce à ce scénario qui était totalement inédit pour le personnage et aussi pour l'industrie mais surtout grâce à tous les détails qu'il a su y introduire. Le premier point est bien entendu la réflexion sur l’escalade de la violence. Face à une nouvelle menace mais aussi à cause de son propre vieillissement, le chevalier noir a recours à une agressivité inédite jusque-là. Graphiquement, cela se traduit par la stature du personnage qui n'a jamais été aussi massif et trapu, mais aussi à travers ses tactiques de combat puisqu'on le voit passer à travers des murs pour piéger des bandits et leurs armes de guerre. Il se démarque aussi par sa bestialité. À plusieurs reprises, il tient ses batarangs comme des griffes ou bien il utilise de vraies chauve-souris pour effrayer ses adversaires.

Miller en profite aussi pour s'interroger sur la dimension héroïque de son personnage et sa relation avec ses adversaires. Face à une némésis qui sort de sa léthargie en réaction au retour de Batman, est-ce que le héros ne doit pas accepter de dépasser les limites qu'il s'est lui-même fixé ? Cette relation d’inter-dépendance est encore plus soulignée par le lieu de leur confrontation : une maison des miroirs et un tunnel de l'amour. En ça, l'auteur précède de quelques années le travail d'Alan Moore sur The Killing Joke (1988).

tdkr #2Il va jusqu'à jouer avec cette dimension héroïque puisque lorsqu'il met une arme à feu dans les mains de son héros, c'est pour qu'on se rende compte après quelques pages qu'il ne s'agit que d'un grappin. C'est d’ailleurs avec ces réflexions qu'il finit par dépasser le 4ème mur. La batmobile a un nom ridicule qui semble avoir été choisi pour le public enfantin ? C'est parce qu'elle a été nommée ainsi par le premier Robin. Batman porte un symbole jaune poussin sur son torse alors qu'il veut être discret ? C'est pour détourner l'attention de son visage.

Outre ces points qui ne feront sourire que les plus initiés des lecteurs, Miller utilise aussi son histoire pour dénoncer des sujets beaucoup plus graves pour lui : les travers des médias et du gouvernement. En effet, une grosse partie de la narration se fait à travers des news de journaux télévisés intercalées entre deux potins de stars. Elles sont directement représentées à l'image par des cases découpées comme autant d'écrans de télévision qui se suivent et nous mettent à la place du citoyen moyen. Ce citoyen qui se contente de suivre presque passivement les aventures du chevalier noir et surtout les décisions politiques qui en découlent.

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C'est pour ces niveaux de lectures que The Dark Knight Returns est une œuvre culte. Ça et sa dernière partie qui nous offre la lutte ente Batman et Superman, ceux qui devraient être les plus grands alliés et que pourtant tant de choses opposent. Cette lutte est devenue tellement iconique qu'aujourd'hui encore on en retrouve des traces au cinéma dans Batman v. Superman. Si vous avez un tant soit peu d'intérêt pour l'homme chauve-souris, je pense sincèrement que vous vous devez de lire cette histoire, pour ce qu'elle a apporté au personnage mais aussi à l'industrie. Pourtant, il y une remarque récurrente sur ce bouquin que je n'ai pas encore abordé. Est-ce que The Dark Knight Returns est une œuvre fasciste ?

Jusqu'à présent j'ai essayé de préserver l'histoire pour ceux qui ne l'auraient pas encore lu mais à partir de maintenant je ne vais plus hésiter à spoiler. Au contraire, il vaut mieux avoir lu au moins une fois l’œuvre pour parfaitement comprendre ce à quoi je fais référence. Soyez prévenus, vous entrez dans la zone spoiler.

tdkr #4Comme dit précédemment, Miller dépeint une société décadente gangrenée par la criminalité. Cette criminalité est incarnée par les Mutants « trop jeunes pour se raser ». Si on se replace dans le contexte des années 80 à savoir la présidence de Ronald Reagan à la tête des États-Unis mais aussi la période dite de la « seconde guerre froide » qui s'est poursuivie jusqu'au milieu de la décennie alors je pense que Miller nous parle de la génération X. Une génération qui n'est pas la sienne puisqu''il est né en 1957, qui était sûrement trop jeune pour avoir participé à la guerre du Viêt Nam, qui s'habit selon la mode punk, qui ne partage pas ses valeurs mais surtout, c'est une génération qu'il ne connaît pas. Ainsi il nous décrit les Mutants comme parfaitement immoraux. Ils n'hésitent pas à tuer des religieuses et ainsi à s'en prendre aux vielles valeurs morales et ils n'hésitent pas non-plus à s’entre-tuer lorsqu'ils en viennent à affronter Batman. Mais surtout, ils ont des quotas de crime à remplir ce qui signifie que leur démarche est purement gratuite. Miller se refuse à leur reconnaître une once de réflexion. La scène de l’agression dans le métro est la parfaite synthèse de ce que sont les Mutants avec en plus une bonne couche de pathos puisque c'est une mère de famille qui se fait attaquer alors qu'elle venait de sacrifier une partie de son argent pour faire un cadeau à son enfant. De cette manière, l'auteur a recours à de la bonne vieille persuasion pour rendre cette génération antipathique.

Il en profite aussi pour taper sur le système qu'il accuse d'avoir été touché mais aussi d'entretenir cette décadence : les médias à qui il reproche de niveler par le bas la culture et l'information comme par exemple lorsqu'une brève sur une actrice porno est traitée avec autant d'importance que l'annonce d'une lutte armée au sein de la ville de Gotham, de se laisser aller au politiquement correct en censurant toute forme de vulgarité mais aussi de pratiquer la course à l'audience en dépit de tout bon sens comme lorsque le Joker est invité sur un plateau de télé ce qui abouti à des centaines de morts. Miller dénonce aussi la justice qui selon-lui passe plus de temps à relâcher des criminels récidivistes plutôt que de les punir. Citons en exemple la scène où Batman interroge un de ces criminels qui, pour se défendre, brandit ses droits et à qui l'homme chauve-souris répond « Tu as des droits. Des tas de droits. Parfois, je me surprends à les compter jusqu'à en devenir fou. ». Viennent ensuite les cols blancs comme le personnage du psychologue, le Dr Bartholomew Wolper, un médecin tellement optimiste à propos de ses patients que l'on fini par se demander s'il ne porte pas vraiment des œillères. Il a constamment recourt à un jargon technique incompréhensible à tel point qu'il se décrédibilise lui-même. Son incompétence est telle qu'il finit par se faire tuer par le Joker alors qu'il l'a lui-même libéré. Je pense d'ailleurs que ce personnage est une occasion pour l'auteur de dénoncer ceux qui, comme le psychiatre Fredric Wertham, auteur de Seduction of the Innocent, ont abouti à la création du Comics Code Authority. Dans la même catégorie, on pourrait aussi parler du maire de Gotham qui lui aussi finit par mourir de son incompétence ou des parents de Carrie qui sont tellement absents dans l'éducation de leur fille qu'ils n'apparaissent même pas à l'image.

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tdkr #6Face à cette menace, Miller a une solution : Batman. Il fait de son héros le porte-étendard de ses valeurs et l'agent de la reprise en mains de la société. On le voit d'ailleurs à deux reprises, notamment sur une splash page (une page qui ne comporte qu'une seule case), entrain de porter un corps emballé dans un drapeau américain. En sachant ça, le thème de l'escalade de la violence prend un nouveau sens. Selon moi, Miller invite ses compatriotes à lutter de manière plus radicale contre tout ce qu'il a dénoncé auparavant. Face à une criminalité grandissante, la réponse se doit d'être proportionnelle. Pourtant, Batman ne dépasse pas la limite qu'il s'est fixé à savoir ne pas tuer.

tdkr #7Je me demande vraiment si ce n'est pas une contrainte imposée à Miller par son éditeur. En effet, lors d'un combat entre le super-héros et des preneurs d'otage, il s'empare d'une arme et tire sur un des criminels. La tache grise pourrait être du sang et on ne voit qu'un seul impact de balle dans le mur mais aucun dans le corps. Peut-être que la couleur a été changée pour ne pas choquer le public et que la perforation de la balle n'est pas visible parce que le corps s'est affaissé. C'est d'autant plus plausible que la couleur grise pour ce qui serait du sang est visible à d'autres moments qui ont comme point commun de correspondre à des blessure que les Mutants s'auto-infligent en cherchant à blesser le chevalier noir.

tdkr #8Les premiers effets se font ressentir sur le personnage de Carrie Kelley, la nouvelle Robin. On nous la présente comme une élève studieuse ce qui semble être rare dans cet univers. Ancienne membre des Scouts, c'est la première à se féliciter du retour de Batman et à le rejoindre pour l'épauler dans sa lutte. Les effets suivants apparaissent dans la quatrième partie du bouquin. Après qu'une explosion électromagnétique ait réduit Gotham à l'anarchie, c'est le charisme de Batman qui permet le retour au calme. D'une part, il appelle à le rejoindre tous les anciens mutants alors que même leurs parents ont baissé les bras. D'autre part, il parvient aussi à ramener à la raison le col blanc qui quelques minutes auparavant se laissait aller à ses plus bas instincts. Tous ensembles, ils réussissent à endiguer un incendie dans une glorification du héros ordinaire dont seul les américains ont le secret. De cette manière, l'auteur appelle à lui tous ses lecteurs, même ceux qu'il critique, et fait preuve d'une forme d'iconoclasme vue par le bas face à celui qui est le vrai ennemi : l’État et sa menace constante de plonger dans l'autoritarisme.

Selon cette logique, le personnage de Superman devient à son tour une allégorie de tous les travers de l’État américain durant la guerre froide. Il est beau en surface, chacune de ses apparitions est soutenue par une palette de couleur vive mais pourtant il est associé à la guerre, ici sur l'île de Corto-Maltese. Son intervention fait penser à l'ingérence des États-Unis dans les républiques bananières d'Amérique du sud et plus généralement dans le monde. Mais surtout, avec ses pouvoirs pratiquement divins, il symbolise la bombe atomique qui a le potentiel de tout détruire. Paradoxalement, je trouve la confrontation entre les deux héros presque belle par tout ce qu'elle sous-entend. Lorsque Batman dit à son adversaire : « Je veux que tu te souviennes… du seul homme qui t'ait battu... », c'est une mise en garde et presque un appel à la révolution. Lorsqu'il parvient à maintenir le calme à Gotham, c'est l'auteur qui met en garde son gouvernement face à sa fragilité et qui questionne son utilité. C'est la raison pour laquelle cette quatrième partie sauve le bouquin et qu'à elle seule elle en justifie la lecture.

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Finalement, on peut maintenant tenter de répondre à la question initiale. Est-ce que The Dark night Returns est une œuvre fasciste ? Selon le Wiktionnaire, le fascisme est un « Régime politique qui s'appuie sur un pouvoir fort, un État sécuritaire, l'exaltation du nationalisme et une politique réactionnaire ». On retrouve la politique réactionnaire dans les propos de Frank Miller et dans une moindre mesure la dimension sécuritaire. De même il peut exalter une forme de patriotisme sans toutefois aller jusqu'au nationalisme. Pourtant, il est totalement opposé à l'idée d'un état fort. Je le classerais plutôt dans la catégorie des auteurs conservateurs ascendants réactionnaires. En tout cas pour cette œuvre car, malheureusement, les attentat du 11 septembre 2001 sont passés par là et la question reste légitime pour ses travaux suivants. Mais ça se sera pour une autre fois. En attendant, cultivez-vous et à la prochaine.

Koukarus

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