Attention : l'article qui suit spoil l'intrigue de WandaVision.
Adapter les super-héros sur le petit écran a un double intérêt vis-à-vis du fond politique de leurs récits. Premièrement, il est possible d’aborder des sujets parfois trop sensibles pour le cinéma (du moins pour les producteurs et les actionnaires) : par exemple, le sujet du viol dans Jessica Jones n’aurait hélas pas trouvé sa place dans un film grand public, ou du moins, il n’aurait pas été autant développé. Deuxièmement, le format laisse, normalement, bien plus de temps pour développer le propos, encore plus dans le champ super-héroïque qui a déjà énormément de cases narratives à cocher.
“Normalement” car WandaVision, le cas qui va nous intéresser aujourd’hui, a réussi l’exploit d’amener un grand nombre de thèmes passionnants, pour finalement réussir à taper complètement à côté dans son final, malgré ses 5h50. Pour être plus précis, si la série réussit haut la main sur le champ émotionnel et psychologique, ce n’est pas le cas de son propos politique.
Aujourd’hui, je vous propose donc de revenir sur trois points majeurs qui définissent selon moi les réussites et échecs de la première série Marvel sur Disney+.
Confronter le deuil
Rarement une adaptation de super-héros aura laissé autant de place au chagrin et à la douleur. Même Avengers: Endgame qui était pourtant marqué au fer rouge par le sceau de la mort ne s’est pas aventuré très loin sur le chemin de l’exploration de celle-ci. Soudain nous avons WandaVision qui nous présente dans son avant-dernier épisode une héroïne mise à genoux par le poids de son chagrin, hurlant toute sa peine, au milieu des fondations de ce qu’aurait pu être sa vie auprès de son amour. Cette douleur la conduit à mettre sous cloche toute une ville : un confinement pour échapper à la mort. Bien que la série ait été écrite bien avant la crise sanitaire, il est impossible de ne pas penser aux épreuves que nous avons vécues ces derniers mois. La grande réussite de WandaVision est de ne pas avoir évacué le chagrin en dix minutes comme la plupart des adaptations super-héroïques, les causes de cette douleur ne sont pas visibles par la protagoniste pendant une grande partie du show : le deuil est l’antagoniste visible uniquement par les spectateurices.
Les super-héros sont un excellent outil de travail sur le deuil. C’est notamment ce qu’explique Jill Harrington dans son livre Superhero Grief: The Transformative Power of Loss. Elle rappelle que les super-héros étant une forme de mythologie moderne, la mort tient une place essentielle dans ces récits puisque les mythologies ont été également une manière de comprendre la mort en la personnifiant. Les super-héros sont des personnages hautement tragiques, beaucoup sont des orphelins forgés dans le deuil et la douleur.
Dans un entretien accordé à CNN, Harrington explique que la force de WandaVision est que la série propose une représentation très réaliste de la perte, encore plus pour une série issue d’un univers ancré dans le divertissement et dans lequel la plupart des héros préfèrent blaguer face à la tragédie. Wanda n’a jamais eu cette occasion de blaguer. Sa vie est un enchaînement de tragédies et elle n’a pu que bouillir intérieurement. On peut d’ailleurs se demander pourquoi aucun de ses collègues super-héroïques ne s’est dit qu’il fallait peut-être prendre soin d’elle pendant un temps après les événements de Endgame, ne serait-ce que vis-à-vis de la dangerosité de ses pouvoirs. Il est quand même dommage de monter une relation plutôt intéressante entre Hawkeye et Wanda dans les précédents films pour qu’elle ne soit finalement pas exploitée.
Face à cette héroïne caractérisée par ses pertes s’est alors créé une sorte de dialogue avec ses spectateurices marqué’es par une actualité quotidiennement morbide et où il est impossible de vivre son chagrin. Impossible car la plupart des sociétés occidentales ont effacé progressivement notre confrontation à la mort (nous ne faisons quasiment plus de veille des morts par exemple) et aussi car aujourd’hui nous n’avons plus le temps de nous endeuiller : la mort est présente 24h/24 tandis que nous devons rester actif’ves en tant que travailleureuses, étudiant’es, membres d’une famille, etc. Nous ne pouvons imposer notre chagrin aux autres qui en sont sans doute tout aussi remplis.
Et soudain survient Vision qui nous assène cette phrase percutante : “Qu’est-ce que le chagrin, sinon l’amour persistant ?”. Cette série extrêmement populaire a été un rituel hebdomadaire nous permettant d’échanger sur ce qu’il se passait, sur ce qui était dit. Nous avons pu discuter du chagrin, de ce que ça faisait résonner en nous.
Cette catharsis est éminemment politique dans un monde qui nous empêche de vivre correctement notre chagrin et où il est toujours difficile d’avoir accès à des soins psychologiques. Pour une fois Marvel a donné une place centrale aux émotions : c’est la grande réussite de WandaVision.
Merci le Pentagone
C’était quelque chose que nous avions déjà étudié dans l’épisode concernant les relations entre le MCU et le Pentagone : lorsque la production d’un film ou d’une série nécessite l’utilisation de matériel militaire, il est possible de conclure un partenariat avec le Pentagone qui prêtera ledit matériel. En échange, le Département de la Défense aura un droit de regard sur le scénario, l’utilisation des personnages, etc. Ce fonctionnement est extrêmement problématique puisqu’il s’agit tout simplement de propagande (le département de la Défense pouvant donner des directives concernant l’image du gouvernement que renvoie le film ou la série) et que le gouvernement américain pourrait sans doute réaliser des dépenses impactant plus directement et bénéfiquement les citoyens.
Concernant WandaVision, il ne faut pas bien longtemps pour comprendre qu’un tel partenariat entre Marvel et le Pentagone a été encore une fois réalisé, la Maison des Idées étant coutumière de cette pratique : l’utilisation d’un campement militaire (celui du S.W.O.R.D) ou l’apparition d’agences gouvernementales comme le FBI sont de bons indices. Ou alors il suffit de lire directement le générique de fin des épisodes pour voir apparaître un “Special Thanks to the United States Department of Defense”.
Il n’est donc pas étonnant de voir réapparaître ce bon vieux motif de “la pomme pourrie au sein du gouvernement” en la personne du directeur par intérim du S.W.O.R.D Hayward. Ce motif a déjà été utilisé dans Captain America: The Winter Soldier : l’antagoniste n’est pas réellement l’agence gouvernementale en elle-même ou le gouvernement et son abus de la violence légitime. Le danger vient de quelques agents qui se sont écartés du droit chemin et ceux-ci ne remettent jamais réellement en cause le fonctionnement des institutions.
Pour en revenir à la pomme pourrie, le directeur Hayward suit exactement ce motif : il est le seul responsable de ses dérives et jamais le fonctionnement du S.W.O.R.D, dont on ne connaît d’ailleurs quasiment rien, ne sera ne serait-ce qu’interrogé. Il était en effet décidé à supprimer purement et simplement Wanda, tout en profitant des restes de Vision pour créer une nouvelle arme puissante avec une version Colgate du défunt, sans compter ses mensonges quant au vol du corps de l’androïde par Wanda. Le schéma d’opposition est ici simple : Wanda est la super-héroïne et en ce sens elle est soutenue par des personnages emplis d'éthiques qui ont déjà vécu l’héroïsme des Avengers, tels que Monica, Darcy et Jimmy, tandis que Hayward est un antagoniste qui ne comprend pas l’héroïne et cherche à la faire disparaître pour ses intérêts militaires.
C’est ici qu’intervient l’agent du FBI Jimmy Woo qui vient souligner le manque de solidité narrative de la série. Car, soyons très honnêtes : à quoi a bien pu servir Woo ? (Outre le fait qu’il soit éminemment sympathique.) Les rares actions qu’il a accomplies au sein de la série auraient pu être également faites par Monica Rambeau. Même son appel salvateur passé à ses collègues du FBI n’est finalement pas un point où son implication personnelle est nécessaire. Le duo Monica/Darcy avait de quoi fonctionner sans la présence de l’agent. D’ailleurs, Jimmy Woo n’était même pas prévu dans les premières esquisses de la série, c’est Marvel qui a demandé aux scénaristes son ajout, sans doute suite au partenariat signé avec le Département de la Défense. L’un des antagonistes de WandaVision étant à la tête d’une agence liée au gouvernement américain, il fallait le contrebalancer avec l’image très appréciable de Woo. Alors pourquoi pas tout simplement Monica ? On pourrait éventuellement émettre l’hypothèse que le Pentagone n’est pas encore à l’aise à l’idée que sa “caution gentillesse” soit tenue par une femme noire mais j’en doute fortement. Il est probable que ce soit uniquement en raison du caractère fictif du S.W.O.R.D. pour lequel travaille Monica : il fallait un “agent gentil” d’une agence bien réelle.
Il s’agit donc (encore) tout simplement d’un cas de propagande gouvernementale qui s’est glissée dans une série extrêmement populaire, pour donner le bon rôle aux institutions américaines et adoucir les actions d’un agent antagoniste. Actions qui, soit dit en passant, sont en parfait accord avec le fonctionnement du Département de la Défense, comme l’atteste le témoignage de cet employé du gouvernement qui s’est prêté au jeu d’analyser les réactions d’Hayward face aux actions terroristes de Wanda. Il y est notamment expliqué que la création du Vision blanc est une contre-mesure parfaitement logique face à une potentielle nouvelle arme (les pouvoirs hors de contrôle de Wanda et la résurrection de Vision), de même que l’utilisation d’un drone de combat face à une Wanda détenant de milliers de citoyens contre leur gré, sur le sol américain, et ne semblant pas du tout être encline à la négociation.
En réalité, le positionnement de la série face à cette interrogation vis-à-vis du comportement de Wanda est extrêmement bancal. Car oui, Wanda a le comportement d’une terroriste, Monica l’a elle-même dit : lorsqu’elle était sous son contrôle, elle n’a ressenti que de la terreur. En regardant la situation et en poussant le pragmatisme très loin : les seules actions réellement répréhensibles d’Hayward ont été de vouloir tirer sur des enfants (ce qui n’est pas très “FC Bienveillance”) et d’avoir menti au sujet du vol du corps de Vision par Wanda. Ce dernier point peut d’ailleurs nous renvoyer directement aux mensonges des États-Unis quant à la présence d’armes de destruction massive en Irak (et tant d’autres mensonges d’États). Mais là encore cela n’efface rien à ce qui a été littéralement un acte de torture perpétré par Wanda.
Le véritable problème n’est pas de savoir qui a raison. Hayward n’avait pas raison d'enfreindre un nombre incalculable de processus judiciaires, de même que Wanda n’avait évidemment pas raison de prendre en otage toute une ville. Mais la série se perd hélas dans sa tentative d’adoucir les angles et l’intervention du Pentagone n’aide en rien. Si on regarde bien, WandaVision s’est royalement plantée dans son final.
L’impossible responsabilité
Il existe une sorte de contrat social propre aux super-héros : c’est le fameux laïus sur les grands pouvoirs et les grandes responsabilités. Si les super-héros ont le droit de disposer de leurs pouvoirs, c’est pour, en retour, assurer la justice et la sécurité des péquenauds sans pouvoir. Un personnage qui n’utilise pas ses capacités pour faire le bien, mais pour servir ses propres intérêts est alors un antagoniste, un super-vilain. De la même manière que le contrat social est rompu lorsque l’État fait mumuse avec son monopole de la violence, il l’est lorsqu’un super-héros utilise la violence de ses pouvoirs contre la population, même inconsciemment dans le cas de Wanda.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Marvel Studios a toujours eu un immense problème avec la responsabilité de ses personnages. Il suffit de voir le nombre de fois où l’image de Tony Stark fut remise en question pour qu’il ne soit finalement jamais descendu de son piédestal ne serait-ce que d’un centimètre. Ici le problème se répète avec Wanda.
Après avoir tant appuyé sur à quel point ce que Wanda a fait subir aux habitants de Westview était terrible, pourquoi avons-nous finalement Monica qui résume tout en un lourdaud et indécent “ils ne sauront jamais ce que tu leur as sacrifié” ? Car la finalité de WandaVision c’est bien ça : Wanda a perpétré un acte criminel, Monica lui sort un “c’est bon meuf, j’aurais fait la même MDR” et Wanda s’envole librement vers sa résidence secondaire. Cette phrase de Monica n’aurait jamais dû avoir lieu. Que Wanda s’enfuit n’est pas un problème : elle semble être de toute façon destinée à un rôle d’antagoniste dans les prochains films du MCU. (Ou du moins de fouteuse de merde en cheffe.) En revanche cette ligne de dialogue sortie par la caution éthique de la série n’a pour résultat que de minimiser ce qu’a fait Wanda. La douleur de cette dernière ne peut en rien légitimer ou excuser ses actes criminels. Le rôle de Monica était de lui dire que bien qu’elle comprenait sa douleur, elle ne pouvait pas cautionner ce qu’elle a fait car elle est sensée être une super-héroïne et qu’elle doit donc répondre de ses actes. Libre ensuite à Wanda de ne pas accepter de se plier à la justice des Hommes. En outre, faire dire à Monica qu’elle-même aurait fait la même chose détruit le rôle de pilier éthique qu’elle a eu pendant tout le show. Cela renvoie à cette impression que donne le MCU que si vous êtes riches, monarques ou simplement puissants, vous ne méritez pas d’être inquiété par les revendications insupportables de justice de ces emmerdeurs de prolo.
On retombe sur le “problème Stark” : le “Tony Stark est un connard ? Ok mais c’est un gentil papa avec Peter” est ici un “Wanda a fait des crasses ? Ouais mais qu’est-ce qu’elle est amoureuse et triste !”. Le MCU est un monopole culturel, ce qui implique que s’il confronte réellement ses personnages à leurs fautes, leurs contradictions et leurs responsabilités, cela voudrait dire aussi en quelque sorte remettre en question le monopole culturel de Marvel. Dans un monde où la Maison des Idées est toute puissante, comment remettre en question la toute puissance de ses personnages ? Cette impasse, le MCU ne pourra sans doute jamais s’en extirper et cela nous laissera constamment face à des créations certes agréables, mais plus que bancales dans leur fond.
Car, la chose à ne pas oublier avec les super-héros est qu’iels sont toujours politiques. Ce qui change est l’audace avec laquelle ces personnages sont traités.
Pemf
Article corrigé par Koukarus et Mahikan
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