Le documentaire est un chemin de découverte. Lorsque l’on est devant, un accord tacite se noue entre læ spectateur’ice et læ réalisateur’ice : nous lançons le documentaire parce que nous voulons bien découvrir ce que ce dernier a à nous montrer, en échange lae documentariste doit faire preuve d’honnêteté intellectuelle et de vision artistique. Prenons deux exemples : si je vois l’affiche d’un documentaire qui propose de parcourir l’évolution du mouvement ouvrier, je vais me jeter dessus puisque c’est un sujet qui m’intéresse et que j’y trouve une sympathie politique. Si un autre documentaire m’invite à découvrir les secrets de fabrication de la porcelaine de Faïence, je vais probablement avoir la curiosité de le voir, même si, globalement, la porcelaine, je m’en badigeonne le nombril avec le pinceau de l’indifférence. Mais que se passe-t-il quand nous n’avons pas du tout envie de rencontrer les personnages du documentaire, quand le sujet nous intéresse, mais que nous avons en horreur les idées portées par les protagonistes ?
Cela donne La Cravate, l’un des documentaires politiques les plus intéressants de ces dernières années.
Date de sortie : 5 février 2020
Réalisateurs : Mathias Théry & Étienne Chaillou
Genre : documentaire
Nationalité : Français
Synopsis : Bastien a vingt ans et milite depuis cinq ans dans le principal parti d’extrême-droite. Quand débute la campagne présidentielle, il est invité par son supérieur à s’engager davantage. Initié à l’art d’endosser le costume des politiciens, il se prend à rêver d’une carrière, mais de vieux démons resurgissent.
Le film est disponible en VOD sur CinéMutins. 4€ en location d'une semaine, 10€ à l'achat.
La Cravate nous propose donc de suivre Bastien, militant du FN. À la base, la proposition aurait de quoi me faire fuir immédiatement pour foncer sur une nouvelle lecture du Manifeste du Parti communiste pour me laver les mirettes. Je lui ai tout de même donné une chance en voyant les noms des réalisateurs, Mathias Théry et Étienne Chaillou, qui ont officié sur La Sociologue et l’Ourson. Ces noms ont été pour moi l’assurance du fait qu’il n’y aurait pas de complaisance envers le fan de l’extrême droite. Et, effectivement, point de complaisance, mais point de jugement non plus. Le documentaire nous invite seulement à découvrir le récit de vie de ce jeune militant.
« Récit » est le terme adéquat ici puisque la construction du film repose sur une sorte de livre qu’ont écrit les réalisateurs au gré des jours passés avec Bastien. Ils l’ont ensuite fait lire à l’intéressé afin qu’il donne son aval, apporte des précisions, et même des éléments nouveaux. Il n’y aura pas de débat d’idées, ce n’est pas le but. Les seules oppositions ouvertes que l’on peut sentir sont les rares moments où la voix-off demande au jeune Picard s’il a conscience de la violence de ses idées. Et là encore, il ne s’agit pas d’un jugement de fond, nous assistons toujours à un dialogue, à un cinéaste qui cherche à comprendre ce qui anime Bastien. Il n’est question que de ce dernier, jamais la caméra ne captera les discussions autour du protagoniste. Nous devons nous contenter de ce que l’on nous donne à voir : un jeune Picard qui a subi l’écrasement d’une éducation malveillante, qui a enchaîné les erreurs (dont certaines auraient pu être dramatiques), est accueilli par un groupe de skinheads, et finit par être l’assistant du directeur de la fédé locale.
Le documentaire s’articule comme une fiction dramatique, avec ses rebondissements, les découvertes que l’on fait progressivement sur un passé que Bastien a bien du mal à assumer, mais sur lequel il finit par faire son introspection. Tout tourne autour du « pourquoi » qui permet de mieux comprendre ce qui a amené le jeune homme dans les bras de l’extrême-droite. Ce « pourquoi », Bastien tente de le cacher afin d’être accepté dans les rangs des organes dirigeants du parti. « La Cravate », c’est ce déguisement qu’il doit porter au milieu des pontes du FN, ce faux visage qu’il doit arborer pour gravir les échelons. Et il y arrive progressivement, mais découvre par la même un monde qui ne lui convient pas : celui des calculs politiques, des carriéristes, des batailles internes pour obtenir les postes politiques les plus prestigieux.
Nous finissons par être troublé par son récit de vie. Non pas que nous ressentons de la sympathie pour lui. Mais nous sommes bel et bien désolés pour ce gaillard un peu benêt qui a subi bien des blessures.
En tant que documentaire politique, La Cravate a un autre intérêt, celui de rappeler que les élections sont avant tout l’affaire de ces petits militants, ceux comme Bastien qui doivent alterner entre leur boulot dans le complexe de loisir local, leur activité associative, et leurs activités politiques. En dessous des figures présentables qui se trouvent sur les affiches, se trouvent les barons en costard qui ordonnent aux passionnés de coller lesdites affiches. Ces derniers n’osent pas répondre à la caméra des journalistes le soir du premier tour, mais ont un parcours de vie singulier. C’est ce parcours que capte la caméra, pas le grand récit de ceux qui sont élus.
La grande force émotionnelle du film vient de son écriture : sobre, belle, une sorte de roman audio qui nous est lu par une voix-off posée et douce. Elle nous raconte les échecs amoureux de Bastien, ses désillusions professionnelles et politiques. Là encore nous n’y percevons aucun jugement, aucune ironie puisque c’est bien un drame que l’on nous raconte. Le drame d’une jeunesse perdue, oubliée par une République préférant chouchouter les actionnaires que ses enfants, et qui n’a pas pu être sauvée par notre tradition syndicale et sociale, cette dernière étant détruite depuis bien longtemps.
Bastien devient un symbole, le schéma d’un parcours rendant compréhensible ce qui se trame dans la tête des jeunes militants d’extrême droite. Un drame, ni plus ni moins.
Cultivez-vous.
Ipemf
Article corrigé par Agathe
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