Je sais que je ne dois pas juger un livre sur sa couverture. D’ailleurs j’ignore pourquoi je parle de bouquin alors qu’on est là pour le 7e art… Bref, on se dit souvent qu’il faut voir un film avec un esprit vide de tout a priori ou de toute attente sur-évaluée. Pourtant je suis allé voir En Avant à reculons.En soi il est plutôt agréable d’être comblé par un film pour lequel on avait un intérêt extrêmement limité mais ceci est tout de même révélateur du caractère étonnant du dernier né de l’écurie Pixar.
Casting (VO) : Tom Holland, Chris Pratt, Julia Louis-Dreyfus, Octavia Spencer
Genre : Animation, Fantastique
Synopsis : Ian et Barley Lightfoot ont perdu leur père très tôt. ils habitent une ville de banlieue peuplée de créatures fantastiques, mais dont la magie ancestrale a peu à peu disparu. Les deux jeunes frères partent à sa recherche à bord de leu van Guinevere, dans l’espoir de passer un dernier jour avec leur père.
TW/CW : Mort
Qu’est ce qu’il s’est passé dans le studio pour qu’un film pourtant bien ficelé soit autant étouffé ? Tout laissait croire que l’on avait affaire à un des malheureux enfants de Pixar, à l’instar de Le Voyage d’Arlo, Monstres Academy ou encore Cars 3. Pourquoi le sortir la même année que Soul, le prochain Pete Docter qui sort cet été ? Il n’y a que deux autres années pendant lesquelles le studio a sorti deux films : 2015 pour Le Voyage d’Arlo et Vice Versa, et 2017 avec Cars 3 et Coco. Forcément un pattern commence à se dessiner. En Avant a donc écopé d’une sortie hors saison, d’une campagne marketing très légère et de bande-annonces assez peu engageantes. D’autant plus que Pixar semblait plutôt perdu ces derniers temps, orphelin de Lasseter (en même temps, fallait pas être un porc John…), le studio avait enchaîné deux suites relativement calibrées, manquant d’une part de la fougue de leurs prédécesseurs : Les Indestructibles 2 et Toy Story 4. J’ai donc cru que l’on me vendait un énième “film de bro”, un buddy movie dans lequel le jeune chétif devait apprendre à devenir un vrai mec.
Que l’on ne me reprenne plus à me fourvoyer de la sorte ! En Avant est un des Pixar les plus rafraîchissant, émouvant et convaincant de ces dernières années.
Il parvient à cumuler une franche originalité, notamment grâce à l'héroïc-fantasy jusqu’alors peu explorés par le studio, tout en validant ce que l’on attend des films de cette écurie : un humour efficace, les instants kleenex sincères, l’exploration des notions de deuil et d’absence, et une réalisation maîtrisée. Le savoir-faire Pixar arrive à transcender ce qui aurait pu être un simple buddy movie, genre pour lequel je n’éprouve que peu de sympathie, pour en faire une discussion de 1h40 entre deux frères qui, chacun à leur manière, se demandent comment avancer sur le chemin de la vie adulte malgré un sentiment constant d’absence : celle d’un père et d’une prise de recul réelle sur un deuil jamais entièrement accepté, mais aussi d’estime de soi et de la part des autres. C’est sur ce terrain que En Avant sait être le plus pertinent et touchant. Il n’est heureusement pas question de la nécessaire présence d’une figure paternelle mais du flou vertigineux pour un enfant que représente l’absence d’un parent. La question n’est pas de savoir de quel parent on tient mais de savoir quand il est temps de laisser le passé s’échapper et de se bâtir une existence propre, notamment grâce à ceux qui sont encore présents.
Cette pertinence tient également en ses deux protagonistes plutôt uniques par rapport aux classiques des représentations de ce genre de personnages.
Ian est un jeune n’ayant pas vraiment confiance en lui et sa personnalité a ceci d’original que son but n’est pas de devenir un être exceptionnel, un vrai mec burné raccord aux attentes virilistes. L’une de ses principales préoccupations est de réussir à s’exprimer plus et c’est quelque chose que l’on retrouve assez rarement dans les personnages masculins de fiction alors que l’on sait que c’est l’un des gros soucis de nombre de jeunes garçons : ne pas savoir poser des mots sur leurs émotions et en parler ouvertement puisqu’on les assigne régulièrement à l’introversion : les vrais gars ça ne montre pas ses émotions, c’est bien connu. Son grand frère, Barley, n’est pas en reste et représente un véritable message d’amour aux passionnés en tout genre. Un peu à l’instar de Ready Player One, Barley permet de comprendre que, même si la pop culture et la fiction représentent un formidable potentiel d’émancipation et de réalisation personnelle, il faut tout de même faire attention à ne pas s’enfermer dedans, ne pas laisser sur le pas de la porte de son donjon imaginaire celles et ceux qui nous entourent. Il est le nerd, perçu comme un looser par ceux qui ont placé tous leurs rêves dans la consommation et le rationnel, qui apporte le salut par ses connaissances et sa foi en la magie et l’imaginaire. La relation des deux frères est touchante et ne tombe pas dans les clichés du genre basés sur la compétition entre les adelphes.
Si leur quête consiste à la base à pouvoir parler à leur père pendant quelques heures, elle représente en sous-texte une invitation à la décroissance. Dans un monde conduit par la consommation et la course aux technologies permettant d’aller toujours plus vite, En Avant incite à reprendre son temps, emprunter les chemins moins directes qui conduisent à une meilleure connaissance de soi et des autres, à placer sa passion dans ce qui n’apporte pas forcément de valeur pécuniaire mais qui recrée du lien : la magie, la culture… (insérer ici un certain slogan d’un certain blog…)
Ce qui rend En Avant aussi rafraîchissant est son monde de fantasy et son ambiance délicieusement Donjons & Dragons. Le film a la sagesse de ne pas tomber dans l’amoncellement de détournement burlesque de cette imagerie fantastique et construit une véritable toile de fond amusante et originale : les licornes sont des ratons-laveurs, les fées des bikers fort peu commodes, les dragons des chiens sous stéroïdes, etc.
Son utilisation de la magie ne tombe pas non plus dans la facilité de résoudre chaque situation par une simple agitation de baguette. Elle est au service du propos et chaque sort révèle quelque chose au protagoniste sur lui-même ou son entourage et lui demande un effort tout particulier. La magie de ce film est l’effort que doit faire chaque jeune pour avancer, mieux se connaître et avoir confiance en ses capacités. Elle relève d’une douce psychologie pédagogique.
Bien évidemment il reste des failles à ce tableau dont j’ai pris le soin d’afficher les coups de génie. Il y a notamment le design parfois trop génériques de certains personnage comme Ian, Barley ou leur mère, ce qui fait plutôt tâche en comparaison des personnalités fortes comme la Manticore.
Mais surtout, je ne peux m’empêcher de me demander ce que ce film aurait donné avec UNE protagoniste. On ne dépeint que rarement les relations père-filles et En Avant aurait pu avoir un coup à jouer. Ce qu’il fait ici est très intéressant et salutaire pour certains jeunes garçons, et, après tout, cette histoire relève de celle personnelle de son créateur qui tenait à parler de sa relation avec son frère et son père décédé lorsqu’il avait un an. Mais, tout de même, pour la miriade d’histoire permettant aux petits mecs de s’épanouir, il reste encore trop peu d’histoire similaires pour les jeunes filles. Pixar semblait avoir commencé ce travail avec Vice Versa, il serait temps de continuer à explorer cette route.
En définitive, je ne peux que vous recommander d’aller voir En Avant pour faire en sorte qu’il ne soit pas la même déception au box-office que des films comme Le Voyage d’Arlo.
Il relève des beaux Pixar, de ceux qui étonnent et qui laissent songeurs sur notre propre histoire une fois que la lumière se rallume. C’est le savoir-faire Pixar et il a encore de beaux jours devant lui.
Cultivez-vous.
Ipemf
Article corrigé par Koukarus
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