[Documentaires] Depuis Mediapart

Souvenez-vous, c’était en 2017. Le grand bal des trous de balle, que l’on appelle plus poliment “élection présidentielle”, nous plongeait dans une déroute incompréhensible. Tandis que l’un devait rendre l’argent, l’autre était lâché par son parti en pleine auto-dissolution. Au moment où l’une voyait ses propos orduriers de plus en plus accueillis favorablement, un autre s’explosait les cordes vocales parce que c’était visiblement son projet. Bref, on n’y comprenait plus rien et les médias eux-mêmes semblaient totalement perdus.
C’est dans ce contexte que Naruna Kaplan de Macedo a posé sa caméra au sein de la rédaction de Mediapart pour nous proposer avec Depuis Mediapart une plongée au cœur du journal à partir des révélations de l’affaire Baupin et jusqu’à l’élection de Macron.
J’ai eu la chance d’assister à une projection en présence de Edwy Plenel qui s’est ensuite prêté à l’exercice d’une séance de questions-réponses. Bien que je regrette que très peu de questions aient été posées sur le film en lui-même, ce fut tout de même un moment extrêmement intéressant. Sans plus attendre, passons à l’analyse de ce documentaire singulier.

Date de sortie : 13 mars 2019

Réalisatrice : Naruna Kaplan de Macedo 

Genre : Documentaire

Synopsis : En installant sa caméra au cœur des locaux de la rédaction du journal en ligne Mediapart, avant, pendant et après l'élection présidentielle française de 2017, Naruna Kaplan de Macedo a pu suivre le quotidien de celles et ceux qui y travaillent. Sur fond de dossiers comme l'affaire Baupin, les Football Leaks, les financements libyens, le film nous donne à voir comme jamais les coulisses d'un certain journalisme d'investigation. 

Le métier de journaliste est fondamentalement cinématographique et nombre de cinéastes se sont prêtés au jeu de le mettre au centre de leurs œuvres. Dans la fiction, il est souvent solitaire et a ceci de parfaitement fascinant que sa quête consiste à faire éclater la vérité tout en faisant face à nombre d’embûches. De Citizen Kane à Zodiac, en passant par La 5e Victime, les exemples de ces détectives privés journalistiques sont nombreux. Parfois, les réalisateurs souhaitent aussi mettre en avant le pouvoir du collectif au sein des rédactions, glorifiant les services rendus à la société par ces citoyens hissés au rang de héro'ïnes de l’ombre. Les exemples récents ne manquent pas avec notamment Spotlight et bien évidemment The Post de Spielberg, véritable avertissement au président Trump pour lui rappeler que de tel'les journalistes existent encore. Les documentaires français ne sont pas non plus en reste sur le sujet. On peut compter par exemple Les Gens du Monde de Yves Jeuland qui en 2014 déjà nous plongeait au cœur d’une grande rédaction, mais aussi et surtout tous les films de Pierre Carles puisque celui-ci a été journaliste, ce qui définit radicalement ses œuvres. Les journalistes se sont des corps en mouvement perpétuel : c’est un flot constant d’idées agitées, de personnes qui s’affairent dans l’urgence, de twist parfois surréalistes qui viennent chambouler leurs enquêtes. Que ce soit dans la fiction ou dans le documentaire, le journalisme passe particulièrement bien à l'écran.

Depuis Mediapart est l’œuvre d’une abonnée du site de la première heure, une expat’ participant activement au blog qui est devenu sa référence en matière d’informations. Ainsi, après les attentats de 2015, Naruna Kaplan de Macedo est, de son propre aveu, complètement chamboulée et en quête de sens qu’elle pense trouver au sein de cette rédaction. C’est ainsi qu’on suit ce groupe au grès de cette élection sans commune mesure, au fil des interviews de candidats, des news déconcertantes et des enquêtes passionnantes qui ont fait grand bruit.
Il aurait été facile de suivre quasi-exclusivement Edwy Plenel dans son rôle de vieux sage “clopinant” (mot employé par l’intéressé lui-même) à travers l’open space pour dispenser ses conseils avisés, ou un Fabrice Arfi au cours d’une de ses investigations, ou même une Lénaïg Bredoux dans son combat pour faire entendre les victimes de Denis Baupin. Mais il n’en est rien : Depuis Mediapart est un documentaire sur la force et l’importance du collectif. C’est d’ailleurs pour cela que Plenel a expliqué lors de sa présentation du film qu’il s’agit d’un “film sans moustache” (à ces mots, j’ai craint qu’à la fin du documentaire il allait être question de faire disparaître la célèbre et glorieuse pilosité d’Edwy) : il n’est pas question de faire une hagiographie d’un grand journaliste mais de mettre en avant un groupe foncièrement hétéroclite. On les voit donc très souvent débattre, pas toujours sur la même longueur d’onde quant à la manière de traiter certaines informations ou sur leurs conceptions de la politique et de la démocratie. Il s’agit du portrait d’une “nouvelle dynamique” selon le directeur de la publication : un jeune journalisme de gauche investi dans sa mission d’information.

La réalisatrice a fait en sorte que l’on ne voit que très rarement un’e journaliste seul’e dans le cadre. Les rares fois où l’on voit un personnage seul, c’est lors des quelques entretiens avec certain’e’s membres de la rédaction. Il s’agit alors de gros plans pendant lesquels nous sommes faces à une individualité qui prend de la hauteur sur son rôle au sein du collectif ou sur l’action de ce dernier. Le reste du temps, nous verrons toujours ces journalistes échanger sur leurs pratiques, sur la marche à suivre pour une affaire précise, sur leurs doutes, etc. Mediapart fonctionnant majoritairement dans un open space, permettant à chacun’e d’aller au bureau d’un’e autre pour discuter, les obligations techniques du lieu sont devenus l’esthétique du film. On ne sort que très rarement de ces locaux, tout est en mouvement perpétuel et pourtant la caméra est presque toujours immobile, captant alors les protagonistes comme ils viennent, sortant du cadre et y entrant au grès de leur travail.
Une chose apparaît alors comme évidente : quand bien même on n’aurait pas d’accointance avec Mediapart, on ne peut que s’attacher à ces personnages. On les voit blaguer, rire, douter, danser… C’est dans leur quotidien de travail que nous pénétrons, nous sommes au plus près d’elleux dans une période plus que déboussolante et l’on découvre alors la bienveillance qui règne dans ces locaux : le capital sympathie est grand. L’apothéose de cette bonne dose d’humanité vient avec une des scènes finales : Edwy Plenel en train de contenir ses larmes par le rire suite à l’élection de Macron. Par la même il montre l’une des forces de ce type de journalisme : ne jamais renoncer quand bien même la situation se prêterait aux pleurs, et se remettre au travail.

Le documentaire fait preuve d’un montage plutôt ingénieux. Pour rythmer le film, des titres d’articles apparaissent régulièrement à l’écran pour donner à voir le résultat final des longues discussions auxquelles nous avons pu assister. Ces écrans apparaissent toujours avec des bruitages de claviers et avec le bourdonnement des baies de serveurs : rappel simple mais solide du statut de cette rédaction. En revanche il aurait peut-être mieux valu atténuer un peu les blancs de ces écrans : dans une salle de ciné plongée dans le noir, se prendre d’un coup dans la face une telle dose de blanc pur relève d’une singulière volonté de brûler la rétine de ses spectateurs.
Autre élément de montage apportant du sens : les quelques clips de Khaled Freaks (comme celui-ci que nous avons mainte fois entonné à LCDW) remplaçant les discours des personnalités politiques. Ainsi, plutôt que de mettre de simples extraits de ces prises de paroles parfois complètement hallucinées, ces parodies ont été placées pour témoigner du burlesque de la situation de l’époque, du déboussolement profond que chacun’e éprouvait : ce sont des synthèses métonymiques de cette période électorale risible.
Face à ce montage plutôt bien pensé, je n’ai pu en revanche être qu’agacé par l’utilisation outrancière de la voix-off. Attention, elle est importante et a bien évidemment sa place puisqu’il s’agit pour la réalisatrice d’expliquer sa démarche, son sentiment à un instant précis, et de traduire son évidente subjectivité. Cette voix off c’est aussi ce personnage qui cherche à comprendre la France de cette époque et qui veut trouver des réponses au sein d’une rédaction, l’endroit par excellence où l’on donne du sens. Seulement, elle est bien trop présente, parfois pas nécessaire quand il s’agit d’informations qui auraient pu être transmises par l'image. Lors de passages où nous sommes réellement investis au sein de l’équipe, la voix-off refait irruption pour expliquer ce que l’on a déjà vu ou ce que l’on pourrait facilement comprendre autrement, nous extirpant par la même de la situation dans laquelle nous étions. Fort heureusement c’est quelque chose qui n’arrive pas tout au long du documentaire et qui ne gâche pas réellement l’expérience.

Depuis Mediapart est donc un documentaire foncièrement humain, nous permettant de retrouver du sens dans une période qui nous avait tous’tes désarmé. Si, comme moi, vous appréciez la proposition journalistique de Mediapart vous découvrirez l’envers des décors de cette rédaction et en sortirez encore plus proche de ses membres. Si c’est l’inverse, vous y trouverez au moins un très bon résumé de ces élections et aurez du mal à ne pas être pris d’affection pour ces personnages.
Dans une période où le journalisme est malmené, par ses propres agents ou par celleux qui désireraient le museler, il est bon de voir ce type de documentaire nous montrant des hommes et des femmes investi’e’s dans leur mission de, comme l’a expliqué Edwy Plenel, “faire surgir l’agenda de la société”.
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Article corrigé par Koukarus

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