[Cinéma] Le Procès D’une Presse Libre – L’avis Rapide

Récemment, France Télévision a annoncé vouloir opérer quelques modifications sur l’émission Envoyé Spécial pour « doper l’audience », au détriment du contenu politique. C’est tout de même pas de bol : voilà que l’une des seules émissions un poil intéressantes du groupe publique doit renoncer à ce qui faisait sa spécificité. Même s’il ne s’agissait pas non plus d’un pamphlet pour la destruction complète du capitalisme, il faut avouer que certains sujets avaient particulièrement attirés mon attention, ce qui est assez rare avec les médias traditionnels (traditionnel = pourrissant la bouche ouverte, en plus poli). Ce choix implique beaucoup de raisons et de conséquences que nous n’évoqueront pas ici, mais si je vous en parle c’est parce que cette annonce m’a rappelé un certain documentaire que j’ai vu récemment et qui m’a marqué : Le Procès d’une Presse Libre (ou Nobody Speak, Trials of the Free Press).

Date de sortie : 23 Juin 2017

Réalisateur : Brian Knappenberger

Genre : Documentaire, Judiciaire

Synopsis : Le métier de journaliste consiste à chercher l'histoire derrière l'histoire. C'est ainsi que les reporters qui enquêtaient sur la sex-tape d'Hulk Hogan et sur la vente du Las Vegas Review-Journal ont fait une découverte sans précédent : les milliardaires se servent de leur fortune pour réduire les médias au silence. Le Procès d'une Presse Libre explore ce que le soutien financier de Peter Thiel dans le procès contre Gawker et l'achat douteux par Sheldon Adelson du journal le plus important du Nevada signifient pour l'avenir du journalisme, le premier amendement et le pouvoir des ultra-riches.

Des productions cinématographiques sur le journalisme et l’investigation ont en a eu à la pelle. Récemment encore, certains films ont fait parlé d’eux comme Spotlight ou Truth. Du côté des documentaires il y a également de quoi faire, avec mes petits chouchous : Les Nouveaux Chiens de Garde et la trilogie de Pierre Carles consacrée aux médias.
Ici il est question d’un documentaire produit par Netflix qui n’a pas fait grand bruit. Son réalisateur, Brian Knappenberger en a déjà trois autres à son compteur, chacun avec un fond politique clairement établi, avec notamment The Internet’s Own Boy : The Story of Aaron Swartz qui a reçu le prix du meilleur scénario de documentaire à la Writers Guild of America Awards de 2015.
Le Procès d’une Presse Libre est une création très particulière et arrive à rassembler tout ce que j’attends de ce type de documentaire. Il est donc question en premier lieu d’un procès qui a fait grand bruit à l’époque : celui du célèbre catcheur Hulk Hogan contre le site Gawker (qui traitait principalement des gossips des médias et célébrités américain’es). Le site avait publié un article dans lequel ont pouvait trouver une sex-tape du catcheur qui a immédiatement porté plainte pour atteinte à la vie privée et pour préjudice moral. Je sens votre air circonspect : pourquoi choisir ce procès somme-toute ridicule pour parler des dangers qu’encoure la presse à notre époque ? À vrai dire je m’étais posé la même question en débutant le film, d’autant plus qu’un débat (intéressant sans aucun doute) pourrait avoir lieu sur la responsabilité de Gawker quant au respect de la vie privée. Mais les choses s’emballent très vite, en effet il devient vite clair pour Nick Denton, fondateur de Gawker, que le but de la partie adverse est avant tout de détruire le site. Hulk Hogan gagne finalement son procès et par la même la somme ridiculement haute de 140 millions de dollars. Pour Denton il est évident que le catcheur a bénéficié d’une aide financière extérieure, une personne aux ressources immenses qui en voulait particulièrement aux journalistes.


C’est à partir de là que le documentaire devient passionnant. En effet, il va s’agir pour Knappenberger de remonter toute la chaîne de mise à sac de la presse libre américaine, pour en arriver jusqu’aux plus hautes strates avec bien évidemment celui qui s’est déclaré ennemi n°1 des médias : Trump. À chaque fois que nous pensons avoir atteint les sommets de l’absurde, le film prend une nouvelle tournure et ajoute un protagoniste au sujet. Là où la plupart des documentaires vont se contenter d’aller d'un point A à un point B, ici Le Procès d’une Presse Libre va aller jusqu’au point E, sans jamais perdre en rythme et tout en gardant une logique appréciable. Il va donc être aussi question de l'immense pouvoir des patrons de la Silicon Valley, du rachat d'un journal par un autre ultra-riche qui veut garder son anonymat, de la quête des journalistes pour le révéler au grand jour et du lien qu'entretiennent ces patrons avec Trump. Les situations sont ahurissantes mais ce n’est rien à côté des différentes personnes impliquées dans l’affaire. Je pense tout d’abord à Hulk Hogan qui permet de s’interroger sur le caractère fictionnel de nos célébrités, le monde du catch en premier lieu, Hogan profitant du mythe qui s’est créé autours de son personnage pour se monter une défense extrêmement bancale. Mais le catcheur n’est pas le personnage le plus étonnant du documentaire, la palme revenant à Peter Thiel, cofondateur de Paypal, lié de très près à l’affaire et qui se trouve être un homme absolument infâme avec sa nature profonde d’ultra-libéral et ses penchants pour l’eugénisme. C’est bien là tout l’intérêt du documentaire : nous avons affaire à des personnalités étonnantes qui semblent sortir tout droit d’une fiction. Ainsi, sans tomber dans l’écueil du l'accroche narrative, Le Procès d’une Presse Libre nous fait détester des hommes comme Hogan et Thiel mais nous permet aussi de nous attacher aux différent'e's journalistes que nous découvrons et qui se sont battus, que ce soit pour la sauvegarde de leur site ou pour révéler qui se cache derrière le rachat de leur journal. Si l’on tombe par moment dans le pathos (ça reste une production américaine), cela reste la plus grande réussite de ce documentaire, nous sommes investis et constamment surpris par les découvertes que nous faisons.

Ainsi Le Procès d’une Presse Libre traite de sujets passionnants comme la main-mise des ultra-riches sur l’information, la menace que représente Trump pour la presse, le rôle du journaliste, la nécessité de l’absolue vérité, etc. On pourrait se dire que toutes ces situations délirantes sont aussi le fait d’une spécificité américaine mais en France nous en sommes au même point, cela se traduit juste de différentes manières. Si ce n’est pas la meilleure production sur le sujet, ce documentaire est, à mon sens, une bonne introduction qui permet ensuite d’aller plus loin avec d’autres films qui sont plus aboutis tant sur le fond que sur la forme ou même des vidéos comme cet épisode de Mes Chers Contemporains de Usul qui est passionnante.
Je dois avouer que je suis plutôt satisfait de voir que Netflix s’attache à produire ce genre d’œuvre qui va à contre courant des productions consensuelles, même si on ne peut pas non plus dire qu’il s’agit d’une boite contestataire dont le seul but est de renverser les pouvoirs en place (qui sait un jour peut être…).

Je vous invite donc à découvrir Le Procès d’une Presse Libre ainsi que les documentaires français que j’ai évoqué précédemment, ils sont d’une importance capitale pour ouvrir les yeux sur des sujets si essentiels.
En attendant, cultivez-vous !

Ipemf

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