Date de sortie : 12 Septembre 2012
Réalisateur : Stéphane Cazes
Nationalité : Français
Casting : Mélanie Thierry, Nathalie Becue, Corinne Mesiero
Genre : Genre
TW : Emprisonnement, sang, drogue
Synopsis : Ombline, une jeune femme de vingt ans, est condamnée à 3 ans de prison suite à une violente agression. Alors qu'elle a perdu tout espoir en l'avenir, un événement vient bouleverser sa vie : elle découvre qu'elle est enceinte et donne naissance à Lucas. La loi lui permettant de l'élever les 18 premiers mois, Ombline va se battre pour garder son fils le plus longtemps possible auprès d'elle et convaincre le juge qu'elle est capable d'en assumer la garde à sa sortie de prison. Dans cet univers carcéral sombre, commence le combat d'une femme devenue mère en prison, qui va se reconstruire en se battant pour son enfant.
Les mères détenues avec leur bébé
On part du principe que séparer un enfant et sa mère aux premiers mois de sa vie peut avoir des conséquences catastrophiques pour les deux concerné.es. Il a donc été décidé qu’une détenue qui aurait mis au monde son enfant avant ou pendant son incarcération pourrait le garder auprès d’elle jusqu’à ses 18 mois, avant qu’il ne soit remis à la famille proche ou à une famille d’accueil. Il peut encore voir régulièrement sa mère sur de courtes périodes et pendant 1 an, le régime normal des parloirs est ensuite appliqué. Il est préférable de préciser que l’enfant n’a pas le statut de détenu, ça semble évident, mais on n'est jamais à l’abri d’une surprise quand il s’agit du monde carcéral…
Actuellement, il existe environ 25 établissements qui assurent cet accueil, le plus souvent avec pas plus de 2-3 places, mais certains peuvent en avoir plus d’une dizaine comme la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis qui est une sorte de vitrine (plutôt morbide) en la matière. Si le bébé n’a pas le statut de détenu, sa prise en charge ne relève donc pas de l’administration pénitentiaire. Cependant, cette dernière se doit quand même d’assurer les choses les plus essentielles. Ainsi, les cellules accueillant les nouveaux-nés et leurs mères doivent avoir une superficie de 15m², avec un espace séparé pour les deux occupants, la porte de la cellule ouverte en journée, un espace de promenade et une salle d’activité. L’espace de détention « normal » doit être séparé de celui des mères-enfants (c’est l’une des précautions de base, mais ce n’est pas encore assuré partout). La prison doit également fournir tout l’ameublement, le matériel de puériculture et enfin mettre à disposition tous les acteurs sociaux nécessaires au bien-être des détenues et de leurs enfants. Ainsi, des puéricultrices accompagnent les mamans au quotidien et ont la possibilité (ou plutôt l’obligation) de faire des sorties régulières avec le bébé pour qu’il puisse voir le monde extérieur.
Ce dernier point est essentiel. En effet, la plus grande problématique est que l’enfant va intérioriser le mode de vie et le fonctionnement carcéral. Ainsi, il est très souvent conseillé aux mères de laisser leurs enfants aller en journée dans des structures collectives comme les crèches (étant donné qu’elle exerce l’autorité parentale, elle est celle qui prend la décision finale pour les choix éducatifs par exemple sauf en cas de fragilité psychologique). Tout ceci semble formidable : l’enfant peut rester auprès de sa mère, il ne va pas lui être arraché dès le début, le nécessaire leur est mis à disposition, etc. Mais est-ce que toutes les possibilités on été étudiées ? Par exemple est-ce qu’un aménagement de peine ou une suspension de peine ne serait pas préférable dans certains (la plupart) des cas ? Lorsque le bébé naît pendant l’incarcération par exemple, ça change énormément l’équation, de nouvelles perspectives pourraient se présenter. Le débat stagne malgré les recommandations que le contrôleur général des lieux de privation de liberté a fait en 2013 et qui allaient en ce sens.
Ombline
Ce qui est « amusant » (les gros guillemets bien fat sont essentiels) avec les films traitant du monde carcéral, c’est qu’il y a une sorte de mouvement descendant au fur et à mesure. Si on prend le seul sujet de la prison, le nombre de métrages ne se compte plus et certains ont marqué le paysage cinématographique (Les Évadés, La Ligne Verte, etc.). Si on ajoute l’option prison pour femme, là le nombre chute déjà violemment mais garde cependant quelques titres mémorables comme Lady Vengeance. Si on ajoute encore la spécificité des détenues qui ont leur enfant en prison, le chiffre se casse la gueule à vitesse supersonique tout en poussant un cri des plus ridicules. Pourtant, le sujet est des plus intéressants et on a déjà vu de jolis succès critiques comme Leonera. Le film dont on va parler aujourd’hui n’a pas reçu les louanges de la critique et n’a fait que 26010 entrées, là où d’autres films sociaux cassent le compteur, mais on y reviendra après. On va donc tenter de redorer le blason autant que faire se peut, car disons-le sans détour, il s’agit là d’un bon film.
Ombline est donc le premier long-métrage de Stéphane Cazes et nous plonge au milieu de la noirceur du milieu carcéral tout en y ajoutant une dose de douceur et d’innocence puisqu’il s’agit d’une maison d’arrêt qui possède un espace nurserie. On y suit Ombline qui a accouché peu après son entrée en prison et qui va se battre pour pouvoir avoir la garde de son fils, Lucas, après sa sortie. Cela implique de devoir faire un gros doigt d’honneur à toute la haine et la violence qui l’habite, résultat d’une vie pas évidente : mère morte pendant son enfance, père emprisonné et compagnon mort pendant une intervention de police.
Ce qui est intéressant ici est la multiplicité des sujets qu’aborde le film sans pour autant s’éparpiller dans tous les sens. À la base Stéphane Cazes voulait faire un film sur les rapports mère/enfant et il a donc appris qu’il y avait des nouveaux-nés en prison (une cinquantaine en France). Les thèmes se sont donc additionnés au fil de ses recherches : mères en prison, enfants qui ont un parent incarcéré, le combat immense qu’est la réinsertion et le monde de la prison en lui-même avec toutes les dérives qu’il implique. Tous ces sujets sont abordés et c’est un des reproches qui a été fait sous prétexte que le film se disperse. Seulement, cette critique n’est pas valable. Cazes avait hésité à prendre le parti du film documentaire mais a finalement décidé de rester sur la fiction pour tout suivre au travers des yeux de Ombline. Et ça marche ! Tout ce scénario qui soi-disant part dans tous les sens est simplement l’expérience du personnage principal. Comment ne pas aborder certaines dérives de la prison quand le personnage y est incarcéré ? Comment ne pas parler des difficultés de réinsertion quand le personnage est appelé à sortir de cette prison ? Si le film est là pour montrer la vie d’une mère avec son fils en prison, ça s’accompagne de toutes les galères qui vont avec et elles ne viennent pas que du seul nouveau-né, mais du système lui-même qui s’est dit que ça pourrait être sympa de laisser un gosse en prison. Ce film a une vraie portée didactique et il le fait d’autant mieux qu’on sent que le réalisateur a tout donné pour connaître au maximum le milieu. Cette histoire, Cazes la prépare depuis 2002, en se rapprochant et en s’engageant dans des associations comme Genepi. Alors évidemment il y a forcément certains points qui ont dû être arrangés par rapport à la réalité, mais c’est toujours pour les besoins du récit et ça reste assez rare. Donc oui, le film aborde de nombreuses choses, mais il ne prend pas plusieurs chemins, il en prend un seul, celui du personnage principal, parsemé de nombreux obstacles.
Pour coller au plus près à l’ambiance, au vécu des lieux, le tournage s’est fait dans une vraie prison. Visiblement ça a beaucoup marqué l’équipe et notamment Mélanie Thierry (Ombline) quand elle devait tourner dans le mitard. Ressentir le passif d’un lieu, pouvoir ne serait-ce qu’effleurer l’impression qu’ont pu avoir les détenus peut être essentiel pour bien habiter les personnages. Ce n’est donc pas un hasard si Mélanie Thierry est l’une des grandes forces du film. Son interprétation est puissante, bouleversante : elle incarne parfaitement Ombline.
Dans la mise-en-scène, l’ambiance carcérale se traduit par des plans dans lesquels les protagonistes sont enfermés, ça ne respire pas, il y a très peu de plan d’ensemble. Il en est de même pour la lumière : la plupart du temps terne, sauf pendant les rares passages de joie où, tout à coup, on respire : elle se fait plus chaude, plus humaine. On comprend que le réalisateur a voulu rendre la prison la plus inhumaine possible, au travers de la mise-en-scène comme on l’a vu mais également avec certains passages où nous sommes tout simplement abasourdis de voir autant d’absurdité dans les décisions de l’administration pénitentiaire (mettre des menottes à une femme en train d’accoucher, passer les bébés au contrôle des métaux ou encore la sacro-sainte phrase inepte au possible « fallait y penser avant [de faire un bébé] »). La prison est un monstre : le déluge qui menace Lucas et sa mère. Pour autant, le film ne tombe pas dans le manichéisme, même les pires matonnes peaux de vaches sont présentées comme pouvant être bienveillantes, notamment quand elles sont en dehors de la prison. La prison, ça aliène tout le monde.
Pour résumer, si vous voulez voir un film qui traite avec justesse du cas des bébés en prison, de la relation mère/enfant, du système carcéral français, n’hésitez pas, foncez dessus et vous aurez droit à une belle expérience teintée de divers émotions : on en ressort pas indifférent. Évidemment, la réalisation aurait pu être plus aboutie, mais pour un premier long-métrage il s’agit là d’une belle réussite, et c’est en partie dû à l’investissement dont a fait preuve Stéphane Cazes. L’important est qu’on en ressort avec des interrogations, en se demandant « est-ce que ce système est vraiment le plus préférable ? ». Vous comprendrez très vite qu’il y a quelque-chose de très paradoxal : d’un côté il est clair qu’il ne faut pas séparer une mère et son enfant (du moins quand il n’y a pas de danger immédiat pour ce dernier) et de l’autre on se rend compte que oui, la prison c’est pas forcément le meilleur lieu de développement pour un gosse. Au final, on fait quoi ? On patauge sans oser penser aux solutions alternatives.
Donc, regardez Ombline, renseignez-vous sur le sujet et n’oubliez pas, cultivez-vous !
Ipemf
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